Alors que Donald Trump fait l’objet de plusieurs actions en justice pour déterminer son rôle dans la contestation des élections de 2020 et les manifestations violentes qui ont mené, le 6 janvier 2021, à l’assaut du Capitole, diverses associations de défense de la démocratie et des droits civiques estiment qu’il existe d’ores et déjà assez d’éléments pour établir la responsabilité de l’ancien Président, montrer qu’il a bel et bien “soutenu une insurrection”, et le déclarer, par conséquent, inéligible. Elles en concluent qu’il ne saurait être de nouveau candidat à la présidentielle et demandent donc que son nom ne figure pas sur les bulletins de vote des primaires du Parti républicain.
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Des démarches ont été entreprises en ce sens dans une trentaine d’États, chacun étant souverain dans l’organisation de ses élections. C’est généralement au secrétaire d’État (le troisième personnage dans la hiérarchie locale après le gouverneur et le lieutenant-général) de les superviser, mais ceux qui ont été ainsi saisis avouent leur embarras, sinon leur désarroi : c’est indéniablement la première fois que se présente à une élection présidentielle un ancien Président accusé de sédition. C’est pourquoi seulement cinq États ont jusqu’ici pris position et, pour ne rien arranger, en sens contraires. Le Colorado et le Maine ont décidé d’écarter Donald Trump des bulletins de vote, tandis que la Californie, le Michigan et le Minnesota optaient pour son maintien.
La situation, il est vrai, est non seulement inédite, mais elle soulève aussi de multiples problèmes d’exégèse et d’interprétation, sur lesquelles se greffent des considérations politiques. La possibilité de frapper un candidat d’inéligibilité se fonde, en l’espèce, sur une disposition constitutionnelle de 1868, adoptée dans le cadre de la “Reconstruction” qui suivit la guerre de Sécession. Trois amendements à la Constitution américaine avaient alors été votés : le XIIIe, qui abolissait l’esclavage ; le XIVe, qui garantissait l’égalité en droit de tous les citoyens ; et le XVe, qui consacrait le suffrage universel (pour les hommes…).
Le jour où Trump aurait affirmé qu'Hitler avait fait "beaucoup de bonnes choses"La liquidation des Confédérés
Le XIVe Amendement devait également régler une question : que faire des anciens responsables du régime sécessionniste ? En sa section trois, le texte interdisait à toute personne ayant participé à une insurrection ou une rébellion d’occuper un poste dans le gouvernement, l’administration ou l’armée. Et la notion de participation était entendue au sens large, jusqu’à inclure l’aide ou l’appui à une rébellion ou une insurrection. Les auteurs s’étaient, toutefois, gardés de dire ce qu’ils entendaient par là et de définir les termes employés. Nul n’eut le temps de le regretter car, en 1872, le Congrès décidait d’amnistier celles et ceux qui, de près ou de loin, avaient soutenu les Confédérés. La section 3 du XIVe Amendement tomba dès lors dans l’oubli.
Jusqu’à l’assaut du Capitole et le second impeachment de Donald Trump, une procédure de destitution déclenchée à quelques jours de la fin de son mandat, au motif qu’il aurait pris part à une insurrection – fût-ce passivement car, en prêtant serment, le chef de l’exécutif américain s’engage à “préserver, protéger et défendre la Constitution des États-Unis”, un engagement que Donald Trump aurait trahi. Le procès devant le Sénat se termina, comme l’on sait, par un acquittement. Les choses auraient pu en rester là si la petite association Free Speech for People (FSFP) n’avait manifesté sa volonté d’invoquer le XIVe Amendement pour barrer la route à Donald Trump dès que celui-ci eut annoncé, dans la soirée du 15 novembre 2022, son intention de revenir à la Maison-Blanche.
Un article retentissant de deux juristes éminents
Les militants de FSFP et d’autres organisations analogues se trouvèrent bientôt confortés dans leur détermination par un article retentissant à paraître dans la revue juridique de l’Université de Pennsylvanie : “The Sweep and Force of Section Three” (“La portée et la force de la Section 3”). Ce qui faisait l’intérêt de cette publication, c’est qu’elle était signée par deux éminents juristes conservateurs, William Baude et Michael Stokes Paulsen, connus pour être des “fédéralistes”, partisans d’une lecture de la Constitution fondée sur les intentions présumées de ses auteurs. Et que leur analyse livrait des éclaircissements on ne peut plus importants.
Pour Baude et Paulsen, la fameuse Section 3 n’a pas été votée uniquement pour régler les problèmes légués par la guerre de Sécession, pas plus qu’elle n’aurait été implicitement abrogée par la loi d’amnistie, mais elle reste, au contraire, une composante à part entière de la Constitution, exécutoire à présent comme à l’époque, contrairement à ce que d’aucuns veulent soutenir, notamment les partisans de Donald Trump. Qui plus est, cette disposition constitutionnelle l’emporte sur tout autre texte de loi en la matière, et elle produit ses effets par elle-même, automatiquement, sans que le Congrès doive légiférer pour en assurer l’application. Enfin, la Section 3 vise, selon Baude et Paulsen, un large éventail de personnes investies d’une autorité, à commencer par le président des États-Unis, et donne, de la participation à une rébellion ou une insurrection, la définition la plus large.
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En conclusion, affirment Baude et Paulsen, il ne fait aucun doute que les événements du 6 janvier 2021 constituaient une insurrection et que, en raison de son implication dans ceux-ci, Donald Trump (comme “potentiellement beaucoup d’autres”) ne saurait prétendre à une nouvelle charge élective. Cette opinion ne fait, cependant, pas l’unanimité. Outre les arguments sur le caractère daté du XIVe Amendement (réfutés par les auteurs de l’article), des juristes, et non des moindres, estiment qu’il ne s’appliquerait, de toute manière, qu’à des élections stricto sensu, et non pas à des primaires, qui ne sont, selon eux, qu’un processus interne de sélection des candidats, régi par les règlements propres aux partis politiques.
Suivre cette logique ne ferait, toutefois, que renvoyer à plus tard le débat sur le fond dans l’hypothèse où le candidat controversé remporterait les primaires. Plus fondamentalement, les détracteurs de la Section 3 y voient une atteinte intolérable à la démocratie, de nature à restreindre arbitrairement le droit de vote. C’est la position défendue notamment par Michael McConnell, directeur du centre de droit constitutionnel de l’Université de Stanford. Pour cet expert, lui aussi conservateur, recourir à cette disposition reviendrait à conférer un pouvoir exorbitant à des personnalités politiques (en l’occurrence les secrétaires d’État), mises en position d’éliminer des adversaires, tout en privant les citoyens de la faculté d’élire le candidat de leur choix.
La Cour suprême pour en finir
Ce pouvoir, les secrétaires d’État rechignent précisément à l’exercer et, quand ils le font (comme ce fut le cas dans le Maine, où la décision d’écarter Donald Trump a été prise par la Démocrate Shenna Bellows), c’est en sachant que la mesure pourra être contestée devant les tribunaux (ce que l’ancien Président a d’ores et déjà choisi de faire). Et en sachant aussi que les jugements rendus par la justice des États (dans le Colorado, c’est la Cour suprême qui a décrété l’inéligibilité de Donald Trump) pourront encore être attaqués devant la Cour suprême des États-Unis. Donald Trump vient précisément de la saisir pour invalider la décision du Colorado et la Cour suprême a annoncé vendredi qu’elle examinerait ce recours dès le 8 février prochain.
Pareille perspective enfièvre déjà les imaginations. Certains observateurs n’ont pas manqué de rappeler qu’un des neuf juges, Neil Gorsuch, pourrait se retrouver dans une situation embarrassante. Cinq ans avant d’être nommé à la Cour suprême par Donald Trump en 2017, celui qui siégeait alors à la Cour d’appel du Dixième Circuit avait déjà dû trancher une affaire similaire, et il avait conclu que le secrétaire d’État (républicain) du Colorado, Scott Gessler, avait parfaitement le droit d’exclure des élections des candidats à qui le Constitution interdisait d’occuper des fonctions officielles.
Passer à autre chose
En l’absence d’un arrêt de la Cour suprême, il appartiendrait surtout aux Démocrates et aux Républicains hostiles à Donald Trump de déterminer ce qui sert le mieux leurs intérêts : déclarer l’ancien Président hors-jeu est, certes, tentant, mais c’est aussi prendre le risque de l’ériger davantage en victime et de renforcer, chez ses partisans, le sentiment que le système électoral est vicié et n’est plus digne de confiance. Un sondage publié mardi dernier par le "Washington Post" ne peut qu’attiser de telles craintes. Il révèle que, trois ans après l’assaut du Capitole, les Républicains sont plus nombreux que jamais à minimiser cette attaque sans précédent contre la démocratie américaine et à exonérer l’ancien Président de toute responsabilité. Pour 72 % des Républicains interrogés (contre 14 % des Démocrates), “il est temps de passer à autre chose”.
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