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Wednesday, June 8, 2022

Pourquoi une agence européenne classe le glyphosate comme non cancérogène ? - 20 Minutes

L’annonce a suscité l’ire des associations écologistes, mais elle n’était pas inattendue. Comme en 2017, l’Agence européenne des produits chimiques (Echa) a estimé que les preuves scientifiques disponibles ne permettaient pas de classer le glyphosate comme cancérogène, mutagène ou toxique pour la reproduction. Un classement dans cette catégorie permettrait d’interdire la vente du produit en raison d’une directive de 2009. Cet avis, communiqué le 30 mai, ouvre la voie à la prolongation en décembre de l’autorisation d’utilisation de l’herbicide controversé dans l’Union européenne.

Massivement utilisé à travers le monde, le glyphosate est pourtant classé depuis 2015 comme « cancérogène probable » pour l’humain par le Centre international de recherche sur le cancer (Circ) de l’OMS. Pour l’Echa, il reste classé comme pouvant provoquer des « lésions aux yeux » et étant « toxique pour les milieux aquatiques ».

FAKE OFF

Pourquoi les conclusions diffèrent entre les deux organismes ? Contacté, le Circ indique ne pas commenter les évaluations des autres agences. Il ajoute cependant que son évaluation et sa classification concernant le glyphosate restent valides et ne seront pas réévaluées avant 2024, comme prévu.

Cette divergence s’explique surtout par une méthodologie et un corpus de données différents. « Sur la cancérogenèse, le Circ prend davantage en compte la littérature scientifique, détaille Bernard Salles, professeur émérite de toxicologie à l’université de Toulouse, à 20 Minutes. Les agences européennes travaillent sur des données issues d’études produites par les industriels, ce qui est réglementaire. Ces dernières doivent suivent les lignes directrices de l’OCDE. Les agences utilisent pour partie la littérature scientifique, mais elle a généralement beaucoup moins de poids pour elles. »

Pesticide Action Network dénonce le rejet de « preuves solides existantes »

Les lignes directrices de l’OCDE pour les essais de produits chimiques sont très normées et se basent principalement sur le modèle du rat, souligne le toxicologue, tandis que les chercheurs vont « multiplier, modifier et inventer des modèles », qui seront ensuite vérifiés par d’autres scientifiques et confirmeront (ou pas) les découvertes académiques.

L’ONG Pesticide Action Network (PAN) s’est indignée de la décision européenne. L’Agence européenne des produits chimiques a « rejeté les preuves solides existantes pour classer le glyphosate comme cancérogène présumé pour l’Homme », affirme, à 20 Minutes, Peter Clausing, toxicologue à la PAN. C’est « une fraude scientifique », accuse-t-il.

L’association dénonce l’absence de prise en compte de découvertes sur les tumeurs observées dans cinq études de cancérogénicité chez la souris et sept études chez le rat. L’ONG critique aussi le rejet de publications révisées par des pairs, comme des études en laboratoire qui décrivent le mécanisme cancérogène du glyphosate, et des études épidémiologiques qui font état d’un risque accru de dommages à l’ADN et de cancer chez les personnes exposées au glyphosate.

Un avis basé sur « un examen scientifique complet » pour l’Echa

« Echa s’appuie énormément sur les études des industriels sur la génotoxicité », soutient Peter Clausing, c’est-à-dire celles sur les lésions provoquées dans l’ADN par l’herbicide. « Or, la majorité de ces études sont défectueuses ou ne sont pas entièrement conformes aux lignes directrices existantes. » Bernard Salles se montre un peu plus mesuré : « Dans le cas des effets génotoxiques, si l’on évalue les études des industriels, celles-ci divergent des lignes OCDE pour environ 70 % d’entre elles », à différents niveaux. Il tient tout de même à préciser qu’il y a une évolution depuis trente ans, mais que « les agences ne discutent pas assez de la qualité des études des industriels ».

L’Agence européenne des produits chimique rejette les accusations de l’ONG et explique à 20 Minutes que son avis est basé sur « un examen scientifique complet et approfondi de toutes les études fournissant des informations pertinentes sur le glyphosate ». Le comité d’évaluation des risques de l’Echa a bien pris en compte les résultats des études sur les rats et les souris et les études épidémiologiques, mais a considéré qu’elles fournissaient « des preuves insuffisantes pour la classification de la cancérogénicité ».

Une expertise de l’Inserm en 2021

En 2021, en France, un rapport de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) sur les usages des pesticides avait analysé 5.300 études pour examiner les liens entre une vingtaine de pathologies et les pesticides. Au sujet du glyphosate, l’expertise avait conclu à une « présomption moyenne » de lien avec les lymphomes non hodgkiniens, un cancer du système lymphatique. Pour le myélome multiple, un cancer de la moelle osseuse, et les leucémies, les résultats sont moins solides. « Les études expérimentales de cancérogenèse chez les rongeurs montrent des excès de cas, mais ne sont pas convergentes », a indiqué l’expertise.

Pour Bernard Salles, un des coauteurs du rapport, « la cancérogénicité est très difficile à montrer ». Par contre, la littérature scientifique « accumule des preuves sur la génotoxicité du glyphosate, notamment chez le rat à faible dose », ajoute-t-il. « Le Circ travaille beaucoup sur ce mécanisme, cela n’a pas été fait par les agences, précise le toxicologue. Surtout que les effets ont été plutôt trouvés sur des branchies de poisson, ou plus récemment en toxicogénomique des modèles [l’étude des gènes exposés à des substances chimiques], des techniques qui ne sont pas du tout utilisées en test par les industriels. »

« Le problème du glyphosate, c’est son impact sur les écosystèmes »

« On pose la mauvaise question, estime-t-il encore. Le problème du glyphosate, ce n’est pas celui de l’Homme et du cancer, c’est le problème de l’impact de ce produit sur les écosystèmes. » Le glyphosate cible une enzyme végétale, qui existe aussi chez certaines bactéries présentes chez les animaux et dans les sols et qui vont donc être tuées par l’herbicide à forte dose. Or, poursuit-il, « les animaux vivent en symbiose avec les bactéries. Cela a un impact chez les pathologies des abeilles et vient d’être prouvé chez le bourdon. »

L’Echa doit transmettre cet été son rapport complet à l’Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa), qui se penche aussi sur la question. « L’Echa classe les produits : son rôle est crucial dans la décision européenne », pointe Peter Clausing. Mais pour étudier l’ensemble des contributions qu’elle a reçu, l’Efsa a reporté à juillet 2023 le rendu de ses conclusions sur les risques possibles que le glyphosate pourrait présenter pour les humains, les animaux et l’environnement.

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