Le taux de chômage a poursuivi sa décrue en France au premier trimestre, malgré une croissance atone. Un paradoxe que les économistes eux-mêmes peinent à expliquer totalement.
Un "mystère", une "énigme"… La situation du marché du travail n'en finit plus d'étonner les économistes. Malgré un ralentissement de la croissance qui devrait être inférieure à 1% en 2023, l'économie française continue de créer des emplois, contribuant ainsi à la décrue du chômage entamée il y a plusieurs années.
Au premier trimestre, l'emploi salarié privé excédait son niveau d'un an auparavant de 1,3% (+271.100 emplois) et celui d'avant la crise sanitaire de 5,8%. Dans le même temps, le taux de chômage a atteint son plus bas niveau en 40 ans, à 7,1%, soit 2,2 millions de personnes, a annoncé l'Insee ce mercredi.
Précisons d'emblée qu'une éventuelle augmentation des radiations des demandeurs d'empoi ne saurait expliquer cette baisse du taux de chômage puisqu'il s'agit ici du taux de chômage au sens du Bureau international du travail, mesuré à partir d'une enquête menée auprès de 110.000 personnes. Sans lien avec les chiffres de Pôle emploi.
Taux d'emploi au plus haut
La quasi-totalité des indicateurs fournis par l'Insee sont au vert. A commencer par le taux de chômage des jeunes qui diminue de nouveau, à 16,6% au premier trimestre (-5,2 points par rapport au niveau d'avant-crise). A 68,6%, le taux d'emploi (rapport entre le nombre de personnes en emploi et le nombre total de personnes) des 15-64 ans est quant à lui au plus haut depuis que l'institut de la statistique le mesure (1975). Enfin, le sous-emploi baisse de 0,2 point, à 4,4% (1,5 point de moins par rapport à fin 2019) tandis que le taux d'emploi en CDI se situe 0,8 point au-dessus de son niveau d'avant-crise (50,6%).
"La part des CDI dans l'emploi a tendance à augmenter. Non seulement on fait baisser le taux de chômage, mais on fait aussi augmenter la qualité de l'emploi qui est plus stable", souligne sur BFM Business Philippe Martin, doyen de l'Ecole des affaires publiques de Sciences Po et membre du Cercle des économistes.
Seule ombre au tableau, le halo du chômage (personnes inactives souhaitant un emploi mais qui n'en recherchent pas ou sont indisponibles) augmente de nouveau, de 0,1 point, pour atteindre 4,6% de la population des 15-64 ans, à 2 millions de personnes. Chef de la division synthèse et conjoncture du marché du travail de l'Insee, Yves Jauneau y voit "un peu un moins bon signal", mais relève que le halo reste "à un niveau relativement moyen".
Aides Covid, apprentissage…
Aussi réjouissante soit-elle, l'embellie sur le marché de l'emploi, trimestre après trimestre, interpelle. Comment expliquer cette dynamique si favorable dans un contexte de ralentissement de l'activité?
"Cela fait longtemps qu'on dit que (le chômage) va remonter dans les trois ou six mois, et puis en fait, ça ne remonte pas", souligne Philippe Martin.
Il y a un mystère sur le marché de l'emploi. Les conjoncturistes ont un petit peu de mal à expliquer cette baisse du taux de chômage qui est assez historique", ajoute-t-il.
Même si les analystes restent prudents, certaines causes sont identifiées. Philippe Martin évoque par exemple "les soutiens aux entreprises qui ont été importants" pendant la crise Covid et "ont permis de sauver des emplois" qui auraient peut-être été supprimés sans aides de l'Etat. Il y a aussi le remplacement par une main-d'oeuvre locale d'une partie des travailleurs détachés dont les effectifs ont nettement diminué depuis la pandémie, ou encore le développement de l'apprentissage, stimulé par des primes de l'Etat, qui contribue "pour environ un tiers" à la baisse du chômage, estime Philippe Martin.
"Mais il y a une part (de la baisse) qu'on n'explique pas, qu'on a du mal à expliquer avec les modèles macroéconomiques qui relient croissance et emploi. Puisqu'on a un taux de croissance qui s'est fortement affaibli, (…) on devrait plutôt avoir une augmentation du chômage", s'étonne l'économiste.
Chute de la productivité
La progression de l'emploi, plus rapide que la croissance, traduit un phénomène inquiétant: la chute de la productivité. Selon la Dares, la productivité par tête est aujourd'hui de 3% inférieure à son niveau d'avant crise au 4e trimestre 2019. L'augmentation du nombre d'alternants n'y est pas étrangère puisque ces derniers sont "a priori moins productifs que le reste des personnes en emploi car ils sont plus jeunes, moins expérimentés et travaillent un volume d'heures plus faible du fait de leur temps de formation", soulignait la Dares.
Le service statistique du ministère du Travail suggère aussi que la baisse de productivité peut être la conséquence "d'une régularisation du travail dissimulé" pour pouvoir bénéficier de l'activité partielle, voire d'"une rétention de main-d'oeuvre" des entreprises, notamment dans les secteurs exposées aux difficultés de recrutement et ceux où l'activité a reculé du fait de difficultés d'approvisionnement.
Le déclin de la productivité est "assez significatif", observait sur BFM Business Sylvain Bersinger, économiste au cabinet Asterès. "Si c'est une tendance durable, c'est une tendance problématique. Parce que, à moyen ou long terme, la hausse des salaires et la croissance suivent de manière quasi-mécanique les gains de productivité", poursuivait-il, estimant néanmoins que "cette baisse de la productivité est plutôt momentanée, plutôt due à des facteurs conjoncturels".
Vers un retournement du marché de l'emploi?
OFCE, Insee, Banque de France… Tous les prévisionnistes s'accordent à dire que le taux de chômage va remonter dans les prochains mois, jusqu'à atteindre les 8% en 2024. "Quand vous avez une production qui augmente peu mais l'emploi qui augmente, ça signifie que la productivité du travail se dégrade. Donc un certain nombre d'économistes pensent que ce cycle de productivité va se refermer" avec des "entreprises qui vont essayer de se séparer des travailleurs les moins productifs", relève Philippe Martin.
Economiste à l'OFCE, Matthieu Plane prédit lui aussi un retournement du marché du travail au deuxième semestre: "On pense qu'on est un peu sur un plateau et que progressivement on aura une remontée du taux de chômage", pour différentes raisons: réduction des aides d'urgence, réduction de la voilure budgétaire, remontée des taux ou encore prime apprentissage moins généreuse…
Il relève que "dans ce contexte, avec une croissance qui est quand même relativement atone, ça paraît difficile de penser qu'on va continuer à créer beaucoup d'emplois et que le chômage va baisser", même si pour l'heure, "on surfe encore sur un marché du travail qui reste relativement solide".
"Très franchement, soyons modestes", souligne Philippe Martin, avant de rappeler que les "annonceurs de mauvaises nouvelles se sont plusieurs fois trompés" sur la trajectoire inattendue prise par le marché du travail ces derniers mois. Et de conclure: "Les économistes" ont encore "assez peu d'explications sur ce qui se passe sur le marché de l'emploi".
Pourquoi le chômage continue de baisser alors que l'activité économique ralentit - BFM Business
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