« Je suis sélectionneur de l’Arabie saoudite depuis presque quatre ans, et avec mon staff, on voit environ 150 matchs par an concernant des clubs saoudiens, toutes compétitions confondues. Aujourd’hui, je pense que j’ai assez de recul pour dire que le championnat d’Arabie saoudite est, avec ceux du Japon et de Corée du Sud, un des meilleurs d’Asie. Ce sont les clubs de ces trois pays qui ont gagné le plus de Ligue des champions asiatique ces dernières années, c’est assez révélateur. » Hervé Renard n’a pas tort : les équipes saoudiennes (4 titres), japonaises (4) et sud-coréennes (6) n’ont effectivement laissé que des miettes à leurs rivaux qatariens (1), australiens (1), émiratis (1) ou chinois (2) depuis le début du siècle.
Ronaldo, premier de cordée ?
Depuis la signature de Cristiano Ronaldo à Al-Nassr lors du mercato hivernal, l’intérêt porté à la Saudi Premier League n’a jamais été aussi prononcé. L’engouement autour de la star portugaise et de son arrivée très médiatique n’a pas diminué, et le ministre des Sports himself, le prince Abdelaziz ben Turki al-Fayçal, emballé par la venue du champion d’Europe 2016, a expliqué que l’État allait aider financièrement les clubs du Royaume pour leur permettre d’attirer d’autres pointures du football international. « On a même entendu qu’Al-Hilal était prêt à offrir à Lionel Messi un contrat de 300 millions d’euros par an… Je ne sais pas si cela se fera, mais il y a clairement une volonté de faire venir d’autres grands noms », intervient Stéphane Jobard, l’adjoint de Rudi Garcia à Al-Nassr, actuel second du championnat, et qui côtoie CR7 tous les jours à l’entraînement. « Quand un joueur du niveau de Cristiano Ronaldo débarque dans le championnat saoudien, cela se ressent à tous les niveaux : ses coéquipiers saoudiens l’observent de très près et s’en inspirent dans leur travail quotidien, les adversaires d’Al-Nassr sont très motivés, et il y a plus de monde dans les stades. »
La présence d’entraîneurs et de joueurs étrangers, principalement européens, africains et sud-américains n’est pas nouvelle, mais elle s’est amplifiée dans les années 2000. Les conditions financières avantageuses, la participation récurrente de la sélection nationale en phase finale de la Coupe du monde depuis 1994 et les performances des clubs sur la scène asiatique ont convaincu beaucoup d’étrangers de tenter l’expérience, avec des réussites plus ou moins avérées. « Je ne connaissais pas très bien ce championnat, c’est vrai, même si j’avais noté que si la sélection saoudienne avait de bons résultats avec des joueurs évoluant au pays, ce n’était pas un hasard, note l’entraîneur albanais Besnik Hasi, passé par Al-Raed (2018-2021) et Al-Ahli (2021-2022). En arrivant sur place, j’ai compris déjà une chose : que les joueurs locaux ont de très bonnes qualités techniques, qu’ils sont vifs, disciplinés et à l’écoute, mais qu’ils ont encore des progrès à faire au niveau physique et tactique. La seconde chose, c’est la différence entre les clubs riches, qui ont de gros effectifs et des installations modernes comme Al-Nassr, Al-Hilal, Al-Ittihad ou Al-Ahli par exemple, et d’autres, beaucoup plus modestes. Une différence qui tend à se réduire un peu. »
La réforme des préretraités
Depuis l’Europe, l’Arabie saoudite est perçue comme une destination exotique, où joueurs et entraîneurs sont assurés de (très) bien gagner leur vie sans trop se fouler. Mais pour le milieu de terrain international tunisien Naïm Sliti (30 ans), qui a rejoint Ettifaq FC en 2019 après avoir aidé Dijon à assurer son maintien en Ligue 1 lors des barrages face à Lens (1-1, 3-1), la réalité est très éloignée de ce préjugé : « Oui, les salaires sont intéressants, mais ce serait une grosse erreur de croire que le football en Arabie saoudite, c’est de l’argent facile. Les joueurs locaux sont très sympas et accueillants, mais si jamais un étranger n’a pas une bonne attitude, donne l’impression d’être en vacances et de juste prendre son salaire, il va être vite mis à l’écart. Et les dirigeants ne le garderont pas longtemps. » Les footballeurs saoudiens sont habitués à côtoyer des entraîneurs et des joueurs étrangers, et sont conscients des bénéfices qu’ils peuvent en retirer. « Ce sont des buvards, ils sont très attentifs, à l’écoute. Et encore plus quand tu leur démontres que ce que tu demandes est utile », confirme Jobard.
Pour les étrangers, l’Arabie saoudite impose une réelle capacité d’adaptation aux exigences locales, imposées notamment par le climat et le mode de vie des Saoudiens. « Comme il peut faire très, très chaud à certaines périodes de l’année, et encore plus dans certaines régions du pays, tu ne peux t’entraîner et jouer que le soir », explique Besnik Hasi. Les journées sont également rythmées par les cinq prières quotidiennes, dont la première à lieu dès l’aube. « On ne peut pas programmer des séances tôt le matin. Les joueurs musulmans et pratiquants font la prière vers 5h30, puis ils se recouchent. Et il peut faire très chaud dès le matin ! Ici, on vit beaucoup le soir et la nuit, en raison de la chaleur, parfois accablante, et pour respecter les coutumes locales », poursuit Jobard. « Moi, quand je le peux, je fais une séance individuelle en salle, dans la matinée, pour garder les mêmes habitudes qu’en France », précise Naïm Sliti.
« Certains joueurs saoudiens devront s’exiler »
La Saudi Premier League ne se résume donc pas à Ronaldo, aux autres joueurs étrangers de qualité (Luis Gustavo, Ever Banega, Odion Ighalo…) ou à la présence de quelques entraîneurs bien cotés tels Rudi Garcia, le Portugais Nuno Espirito Santo à Al-Ittihad Djeddah ou l’Argentin Ramon Diaz à Al-Hilal. « L’Arabie saoudite est un pays de football. Il y a de très bons joueurs. D’ailleurs, je rappelle que tous les internationaux évoluent dans leur championnat, et que nous avons réalisé une Coupe du monde très honorable. La Saudi Premier League est de bon niveau, le football pratiqué est assez technique, avec pas mal d’intensité », reprend Hervé Renard. Sans être une exception, la monarchie est un des rares pays à très peu exporter ses footeux. Rien d’étonnant pour Naïm Sliti. « Ils sont tout simplement bien chez eux, où ils sont reconnus, gagnent très bien leur vie, évoluent dans un bon championnat. Je pense sincèrement que plusieurs d’entre eux ont largement le niveau pour aller dans de bons championnats européens, mais ici, ils sont heureux. Et peut-être qu’ils n’ont pas forcément envie de s’expatrier en Europe, car ils savent qu’ils seront confrontés à un choc culturel important. » Un autre acteur du championnat saoudien, sous couvert d’anonymat, admet également que certains joueurs locaux ne sont pas des monstres de professionnalisme. « J’en connais qui ne font pas tout ce qu’il faut, notamment au niveau de l’alimentation. Ils bouffent un peu n’importe quoi, ne sont pas très rigoureux sur le sommeil, la récupération. Et à l’entraînement et en match, ils ont un peu de mal à tenir le rythme et à répéter les efforts… »
Mais ce côté un peu pantouflard des joueurs saoudiens pourrait évoluer rapidement, puisque la fédération a décidé de faire passer, dès la saison prochaine, de 7 à 8 le nombre d’étrangers autorisés à figurer sur la feuille de match. « Pour un sélectionneur dont tout l’effectif évolue dans le championnat local, ce n’est pas idéal, car cela va encore plus limiter mon choix. Il m’arrive fréquemment de convoquer des joueurs qui n’ont pas un gros temps de jeu en club. Cela va peut-être en obliger quelques-uns à partir à l’étranger. Il y a ici une volonté de faire du championnat saoudien une compétition de haut niveau, et cela passe par la venue de très bons joueurs et entraîneurs étrangers. Il y a une stratégie de développement du football », rappelle Renard. La fédération a par ailleurs décidé d’engager en mai dernier le Marocain Nasser Larguet, passé notamment par l’OM, et de lui confier la direction technique nationale, une fonction qu’il avait déjà occupée dans son pays. « Il s’est notamment penché sur la question de la formation des jeunes, car il y a beaucoup à faire dans ce domaine », ajoute le sélectionneur des Green Falcons. Depuis Bruxelles, Besnik Hasi, qui a également entraîné Anderlecht, suit de près l’actualité d’un championnat qu’il n’exclut pas de retrouver un jour. « Avec les moyens dont disposent les Saoudiens, et qui sont bien supérieurs à ceux du Qatar ou des Émirats arabes unis, ils savent qu’ils peuvent faire venir d’autres noms. Le pays s’ouvre un peu au monde, et c’est une vraie terre de football. Les Saoudiens adorent ce sport très présent dans les médias et les réseaux sociaux, ils en parlent beaucoup et ce n’est pas un endroit où on peut venir en préretraite… » L’avenir proche nous dira si le championnat d’Arabie saoudite gagnera un peu plus en notoriété…
Bordeaux et Sochaux sur le fil, Niort n'est pas mort !Tous propos recueillis par AB.
Alors, il vaut quoi, ce championnat saoudien ? - SO FOOT
Read More
No comments:
Post a Comment