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Wednesday, October 12, 2022

"Ah, ces salauds d'ouvriers raffineurs qui osent faire grève alors qu'ils roulent sur l'or noir !" - Marianne

À chaque mouvement salarial d’ampleur, on a droit à la même musique médiatique. Grosso modo : attention, ceux qui manifestent sont des nantis. Au moindre train bloqué à la SNCF, on nous explique que les cheminots sont des privilégiés qui gagnent (bien) leur vie à regarder passer les trains qu’ils ne conduisent pas. Il n’y avait donc pas de raison que les salariés des raffineries osant demander quelques miettes du gâteau qu’ils ont contribué à fabriquer y échappent. Ça n’a pas raté. Ils ont eu leur part, et même un peu de rab pour les remercier de leur persévérance.

L’angle d’attaque a consisté à décrire une situation salariale parfaitement loufoque mais susceptible de révulser le citoyen lambda, déjà bien enquiquiné (je reste poli) de ne pas pouvoir faire son plein d’essence en échange d’une petite fortune. Mais si, en plus, il est racketté par des profiteurs de la misère d’autrui, il y a de quoi s’offusquer.

Dominique Seux dans ses œuvres

On a donc vu des commentateurs qui n'ont jamais mis les pieds dans une raffinerie jeter en place publique des salaires laissant indécis certains automobilistes. Il était question de 5 000 euros par mois, voire plus. C’est Dominique Seux, directeur délégué du journal Les Échos et éditorialiste économique de la matinale de France Inter qui a donné le ton lundi 10 octobre au matin, en additionnant salaires, primes et autres gracieusetés pour conclure : « Le total est plus près de 70 000 euros bruts par an que de 60 000, et la participation sera beaucoup plus élevée cette année, avec les résultats exceptionnels de la société. » Et Dominique Seux de s’esclaffer en évoquant la tête de l’auditeur à l’énoncé de tels chiffres.

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Sauf que ces chiffres sont faux. Plus précisément, ce sont ceux de la direction, à qui le patron des Échos s’est adressé et qu’il n’a même pas pris la peine de vérifier, exercice qui lui aurait pourtant évité le ridicule de celui qui est pris le doigt dans le pipeline de la désinformation. Sur le site de France Inter dans la version transcrite de l’éditorial en question, on lisait un aveu significatif, exposé par l’éditorialiste : « Ces chiffres sont évoqués par l’entreprise. On imagine que s’ils ne sont pas exacts, la CGT les démentira. » La CGT ou FO, ou n’importe quel syndicat, voire n’importe quel salarié de chez Total, vu qu’ils sont parfaitement fantaisistes. Mais d’expérience, il est toujours préférable de cibler la CGT, car ça fait toujours son petit frisson dans les salons.

Scandale et omerta

Le scandale ne s’arrête pas là. Le pire est que ce commentaire n’a pas été prononcé à l’antenne. Interrogé par le site Check News de Libération Dominique Seux explique qu’il n’a pas pu faire la mise au point parce que « nous étions pressés par l’interview d’Orelsan », invité ce jour-là. Comme c’est dommage, comme c’est bêta, pour une fois que l’intéressé pouvait effleurer la vérité, même de loin. Il aurait pu se rattraper le lendemain, mais non, rien de tel, à quoi bon faire son mea culpa dès lors que l’on peut, chaque matin, exposer doctement la parole des princes du CAC 40 sans risquer d’être contredit, ou contesté.

Depuis, sur toutes les ondes, dans toutes les lucarnes télé, on reprend les litanies chères à Dominique Seux sur ces salauds d’ouvriers raffineurs qui osent faire grève alors qu’ils roulent sur l’or noir. De temps en temps, on reconnaît au détour d’une phrase qu’ils sont plus près de 2000 euros que de 5 000 euros par mois, mais du bout des lèvres, avec un peu de doute à l’esprit. Et surtout, surtout, on ne parle jamais des 10 milliards d’euros de profit du groupe Total, ou de « l’acompte » de 2,6 milliards d’euros versés aux actionnaires, ou encore du salaire de 5,9 millions d’euros par an que se verse le PDG, Patrick Pouyanné, lequel s’est accordé une modeste hausse de 52 % en 2021.

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Chez Dominique Seux comme chez ses clones, ces chiffres n’existent pas. Jamais on ne se demanderait s’il est logique, normal, sain, acceptable (liste à compléter) qu’un homme comme Patrick Pouyanné, aussi respectable soit-il, puisse gagner près de 500 000 euros par mois, autrement dit 500 fois le faux salaire attribué à un raffineur. L’un des salariés de Total confiera à un média : « À 5 000 euros par mois, je ne fais pas grève ». Mais à 500 000 euros par mois, on peut envisager de réquisitionner des salariés grévistes.

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