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Tuesday, April 19, 2022

« En 2002, le vote FN était un vote de sénior alors que Marine Le Pen fait aujourd'hui ses meilleurs scores chez les jeunes actifs » - L'Obs

Des lycéens se sont mobilisés à Paris ce mardi 19 avril, bloquant des établissements pour faire entendre leur voix dans l’entre-deux-tours de l’élection présidentielle et alerter sur l’extrême droite et les questions écologiques ou sociales. Dans le sillage du mouvement étudiant lancé la semaine dernière, la jeunesse se rassemble contre la possible élection de Marine Le Pen. Mais cette mobilisation reste moins importante que celle de 2002 lorsque la qualification surprise de Jean-Marie Le Pen pour le second tour a fait descendre spontanément dans les rues de toute la France, des dizaines de milliers de jeunes pour marquer leur opposition au candidat d’extrême droite.

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Où est donc passée « la jeunesse [qui] emmerde le Front national » comme le chantait le groupe punk Bérurier noir en 1988 ? Où sont passés les slogans comme « Le Pen t’es foutu, nous sommes dans la rue » ou « F comme fasciste N comme nazi » ? Les jeunes ne se mobilisent-ils plus ou autrement ? « L’Obs » fait le point avec Nonna Mayer, directrice de recherche émérite au CNRS, rattachée au Centre d’Etudes européennes et de Politique comparée de Sciences-Po.

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En 2002, il y a eu une forte mobilisation de la jeunesse contre le Front national. Pourquoi n’y en a-t-il presque pas en 2022 ?

Ce n’est plus nouveau. En 2002, c’était la première fois que l’extrême droite avait un candidat qualifié pour le second tour. Et puis la jeunesse, surtout d’extrême gauche, s’était mobilisée dès les premiers succès du Front national dans les années 1980-1990. A cette époque, il y a eu, à travers tout le pays, une floraison de collectifs anti-Le Pen avec notamment les Sections carrément anti-Le Pen (Scalp), le manifeste de Cambadélis (« Le Manifeste des 50 : parce que le FN n’est pas une fatalité », 1992). Chaque fois que Jean-Marie Le Pen faisait un meeting, il y avait des manifestations, l’électricité était coupée dans la salle, des moustaches de Hitler étaient dessinées sur ses affiches.

Autrement dit, à l’émergence du phénomène Le Pen il y a eu de très fortes mobilisations. Depuis, Marine Le Pen a offert une image plus apaisée. Elle peut séduire des jeunes de droite, inquiets de l’immigration, avec une vision hiérarchique et autoritaire de la société, pour qui elle n’a pas les défauts de son père. On ne peut pas comparer 2002 où c’est le coup de tonnerre et 2022 où Marine Le Pen s’est banalisée.

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Cela fait longtemps qu’une partie de la jeunesse vote pour le RN. On peut la classer en deux catégories : il y a une petite frange très politisée, très diplômée, à l’université, qui par idéologie revendiquée a voté pour Eric Zemmour ou Marine Le Pen. Mais la candidate du RN fait de bien meilleurs scores à mesure qu’on descend l’échelle des diplômes, avec des taux records chez les jeunes qui n’ont pas le bac. Cette jeunesse-là, ça fait très longtemps qu’elle est attirée par Marine Le Pen qui tourne ce ressentiment de classe contre les boucs émissaires que sont les immigrés, en bas, qui profiteraient des aides sociales et les gens « d’en haut », les intellos, ceux qui ont le bac, ceux qui réussissent, finalement ceux qui sont derrière Macron.

Les jeunes sont-ils divisés ?

Il ne faut pas essentialiser le terme « jeune ». L’âge est une variable complexe qui renvoie à la fois à la période, à la génération (connaître au même moment les mêmes expériences) et à la place dans le cycle de vie. Et il y a plein de clivages au sein de la jeunesse avec des profils très distincts. Déjà, il y a déjà une différence liée au genre. En 2017, les jeunes femmes de 18-24 ans qui votaient pour la première fois à une présidentielle et qui n’avaient connu que Marine Le Pen à la tête du Rassemblement national ont été 35 % à voter pour elle au premier tour contre un quart des hommes du même âge, quand sa moyenne nationale était de 21,3 %. Se présentant comme une Française, une mère qui travaille, une femme « moderne », elle a réussi à capter ce vote féminin populaire que son père n’arrivait pas à conquérir.

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Il y a aussi le diplôme, l’origine, la religion. Parmi les jeunes les plus susceptibles de se mobiliser contre le RN, notamment par un vote pour Jean-Luc Mélenchon, on trouve à la fois une jeunesse étudiante, urbaine, politisée, et des jeunes des quartiers défavorisés, notamment musulmans, premiers visés par le RN. Il y a enfin les jeunes précaires qui n’arrivent pas à joindre les deux bouts. Cette situation n’encourage pas à descendre dans la rue, plutôt à s’abstenir. Chômage et précarité encouragent l’apathie politique, le repli, la perte de confiance en soi et dans les autres. Quand on parle des jeunes, il faut se demander quels jeunes.

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Mais si les jeunes qui ont voté pour Jean-Luc Mélenchon sont les plus susceptibles de se mobiliser, où sont-ils ?

Peut-être avec les étudiants qui ont pris part au mouvement d’occupation de La Sorbonne et de Sciences-Po lié à l’Unef (Union nationale des Etudiants de France). Mais ce ne sont plus les grandes manifestations de 2002 parce qu’on s’est habitué à la présence de l’extrême droite dans le paysage médiatique et même à l’idée qu’elle puisse se qualifier pour le second tour. Et n’oublions pas qu’en 2002, le vote Le Pen était surtout un vote de senior, contre lequel se mobilisait une large partie de la jeunesse. Tandis qu’aujourd’hui, Marine Le Pen fait ses meilleurs scores chez les jeunes actifs.

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Les jeunes se mobilisent-ils moins ou d’une autre façon ?

On aurait tort de se limiter aux mouvements de rue et au vote. Aujourd’hui, les jeunes échangent et se mobilisent frénétiquement sur les réseaux sociaux, ce n’est pas vrai qu’ils sont restés amorphes. Simplement la manière de traduire leur sympathie ou leur antipathie a changé. Si c’est chez les jeunes que l’abstention a été la plus forte avec un taux de 42 % au premier tour chez les 18-24 ans, cela ne signifie pas forcément qu’ils sont dépolitisés pour autant. Ils s’investissent en ligne ou localement avec des happenings et des pétitions.

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Y a-t-il d’autres raisons qui expliquent cette faible mobilisation ?

On est dans un contexte très particulier. Il y a la chape de plomb qui a pesé à cause du Covid, faisant hésiter à aller dans un rassemblement de foule. Il y a des catastrophes climatiques à répétition et le choc de la guerre en Ukraine. Tout cela entretient une atmosphère d’anxiété qui détourne d’une présidentielle vue comme détachée des préoccupations du moment. On a rarement vu une élection aussi peu mobilisatrice alors que la présidentielle est celle qui suscite le plus d’intérêt. Et puis, il y a cette lassitude de se retrouver au final face au même choix qu’en 2017 : Emmanuel Macron ou Marine Le Pen.

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