À presque deux semaines maintenant du premier tour de l'élection présidentielle, le pouvoir d'achat reste la principale préoccupation des Français. Mais les questions environnementales n'arrivent pas si loin derrière. Elles pourraient peser dans la décision finale. Alors peut-être serait-il judicieux de faire, ensemble, le point sur les positions des douze candidats sur ce vaste thème ? Aujourd'hui, nous nous intéressons plus spécifiquement à une question qui divise : celle du nucléaire.
Il y a d'abord eu l'accident de Tchernobyl (Ukraine) en 1986. Accompagné du plus important rejet radioactif non contrôlé de l'histoire de l'humanité. Révélant aux yeux du monde les risques liés à l'exploitation de l'énergie de fission nucléaire. Et puis, il y a eu l'accident de Fukushima (Japon), en 2011. Classé lui aussi au niveau le plus élevé sur l'échelle internationale des événements nucléaires. De quoi réactiver la peur.
Le saviez-vous ?
Le bilan de l’accident nucléaire de Tchernobyl reste difficile à établir. Le comité scientifique de l’Organisation des Nations unies (ONU) ne reconnaît pas plus d’une trentaine de morts directs. D’autres experts scientifiques annoncent plusieurs dizaines de milliers de morts par des cancers dus aux radiations. D’autres encore, relayés par le réseau « Sortir du nucléaire », estiment qu’environ un million de décès à travers le monde sont attribuables aux retombées de Tchernobyl.
Les bilans officiels de l’accident nucléaire de Fukushima ne font état que d’un seul mort direct par irradiation. Et les scientifiques restent partagés quant à une possible augmentation du nombre de cancers déclarés dans la région. Toutefois, quelque 2.300 personnes vivant dans les environs au moment de l’accident et mortes prématurément sont considérées comme des victimes potentielles — liées non aux radiations, mais à une désorganisation des structures médicales et à des conditions de vie difficiles. Le séisme et le tsunami à l’origine de l’accident ont, eux, fait plus de 22.500 victimes.
Car oui, le nucléaire fait peur. Un peu comme tout ce que l'on ne connait pas. Et d'autant plus lorsque cette peur est entretenue. C'est probablement cette peur qui a poussé l'Allemagne à sortir du nucléaire. Relançant par là même les activités de centrales au gaz et au charbon pour assurer sa production d'électricité. Une relance qui peut paraître de mauvais goût en matière de lutte contre le réchauffement climatique car le gaz et plus encore le charbon sont des énergies fossiles dont la combustion pour la production d'électricité libère des gaz à effet de serre - de l'ordre de 443 grammes d'équivalent dioxyde de carbone par kilowattheure (gCO2eq/kWh) pour le gaz et de l'ordre de 1.058 gCO2eq/kWh pour le charbon contre 6 gCO2eq/kWh pour le nucléaire (en France, chiffres Ademe). Une relance qui paraît aussi, aujourd'hui, de mauvais goût au regard de l'invasion russe en Ukraine financée en partie par nos factures d'énergies fossiles.
Et c'est peut-être moins spectaculaire qu'un accident nucléaire, mais saviez-vous que l'exploitation du charbon tue également ? Dans le monde -- surtout en Chine --, des milliers de mineurs perdent ainsi la vie chaque année. Quant à l'exploitation des centrales à charbon, elle provoquerait -- selon des Organisations non gouvernementales parmi lesquels WWF -- près de 23.000 morts prématurées par an rien qu'en Europe. Quelque 400.000 en Chine !
Ces candidats qui préfèrent sortir du nucléaire
Aussi bien en matière de lutte contre le réchauffement climatique que d'indépendance énergétique, l'ennemi est clairement identifié. Les énergies fossiles -- le pétrole, le gaz et le charbon -- nuisent à notre climat, à notre santé et à notre souveraineté. Ainsi, opposer énergies renouvelables et énergie nucléaire n'a tout simplement aujourd'hui aucun sens. Pourtant, en France, la question du nucléaire continue de diviser les candidats à l'élection présidentielle du 10 et du 24 avril 2022. Futura a fouillé leurs programmes pour essayer d'y voir plus clair. Un seul des douze candidats -- Yannick Jadot, par l'intermédiaire de Delphine Batho -- ayant pris la peine de répondre à nos sollicitations -- notant tout de même que l'équipe d'Emmanuel Macron n'a pas été contactée... Mauvais timing.
Le plus virulent opposant au nucléaire est sans doute Philippe Poutou. « Contre le réchauffement climatique, la réponse de la plupart des candidats, c'est la promotion du nucléaire : la menace d'une dévastation du monde encore plus violente ! Il faut, au contraire, sortir du nucléaire », peut-on lire sur son site. Philippe Poutou appelle ainsi à « arrêter le nucléaire en 10 ans », avec la « fermeture immédiate des réacteurs de plus de 40 ans » -- soit une vingtaine de réacteurs -- et « l'abandon des projets d'enfouissement des déchets ».
Autre position un peu à part, celle de Nathalie Arthaud. Selon elle, « le problème ne se pose pas en termes de "sortir" ou "ne pas sortir" du nucléaire ». La question doit être envisagée au regard des « conditions sociales et économiques dans lesquelles nous vivons ». Elle appelle toutefois à ne pas « confondre la lutte contre les usages avec la lutte contre les technologies elles-mêmes. » Pour elle, « c'est le fait que ces techniques soient entre les mains de la bourgeoisie et utilisées pour la recherche du profit maximum, sans aucun contrôle de la population, qui les rend dangereuses. »
Pour Jean-Luc Mélenchon, « le "tout nucléaire" est une impasse ». Cette « source d'énergie doit être abandonnée ». Mais il envisage tout de même une certaine souplesse dans la sortie du nucléaire, en annonçant qu'il ne souhaite « prolonger aucun réacteur au-delà de 50 ans ».
Rappelons qu'il y a un an environ, l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) avait adopté une position favorable à la poursuite de l'exploitation des réacteurs les plus anciens -- ceux de 900 mégawatts (MW) -- au-delà de 40 ans. Sous réserve de la mise en œuvre de quelques améliorations. Le cas du premier réacteur dans cette situation -- le réacteur numéro 1 de la centrale de Tricastin -- est actuellement étudié dans le détail. Après inspection technique et enquête publique, l'ASN rendra une position. Le même processus s'appliquera ensuite à l'ensemble des réacteurs nucléaires de 900 MW du parc français. Puis, à ceux de 1.300 MW, un peu plus récents, à partir de 2025. D'ores et déjà, la planification pluriannuelle de l'énergie (PPE) prévoit d'étaler l'arrêt des réacteurs nucléaires français du parc actuel entre 50 et 60 ans d'âge.
Les 40 ans font référence à des hypothèses de conception de certains matériels tels que la cuve du réacteur. Cela ne veut pas dire que ces matériels ne peuvent pas fonctionner plus longtemps. #sûreténucléaire@Kako_line@hugoclement@GeWoessner@MySter_Brun_shttps://t.co/s7B63xNvAS
— Autorité de sûreté nucléaire (ASN) (@ASN) March 24, 2022
D’autres candidats ne veulent pas (tout de suite) sortir du nucléaire
Pour revenir aux positions de nos candidats à l'élection présidentielle, notons qu'Anne Hidalgo voit dans le nucléaire, « une énergie de transition, sans sortie précipitée pour ne pas faire flamber les prix de l’énergie ». Elle se rangera à l'avis de l'ASN et du Parlement pour déterminer « la durée de vie des centrales nucléaires actuelles qui pourront bénéficier d'investissements destinés à prolonger leur durée d'exploitation ». Mais elle ne veut ni « de nouveaux EPR » ni « de petits réacteurs modulaires ».
C'est en revanche bien le programme défendu par Emmanuel Macron. Souvenez-vous du plan d'investissement baptisé France 2030 qu'il présentait en octobre dernier. Il évoquait alors tout à la fois, les réacteurs de petite taille et modulaires -- les Small Modular Reactor (SMR) -- et la prochaine génération d'EPR -- le Réacteur Pressurisé Européen --, ceux que les spécialistes appellent les EPR 2. Dans son programme électoral, il semble vouloir se concentrer sur ces derniers. En annonçant « la construction de 6 réacteurs et la mise à l'étude immédiate de 8 autres ». Sur la question de l'opportunité de prolonger la durée de vie des réacteurs actuels, il s'en remet lui aussi naturellement à la décision de l'ASN.
« L'EPR 2 est un modèle de réacteur qui n'existe pas », nous fait remarquer Delphine Batho, porte-parole de Yannick Jadot. « Alors, compte tenu des procédures, il est certain que le prochain gouvernement ne sera pas en mesure de signer les décrets d'autorisation. » Elle estime que l'EPR 2 ne produira, en tout état de cause, pas d'électricité avant 2040-2045. « Or le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec) estime que nous devons diminuer nos émissions de gaz à effet de serre de 55 % au moins d'ici 2030. La relance d'un parc nucléaire fait d'EPR 2 ne répond ni à l'urgence climatique ni à la nécessité de diminuer tout de suite nos consommations d'énergies fossiles et notamment de gaz et de pétrole russes. »
Delphine Batho nous confie aussi que « Yannick Jadot voit dans la grande dépendance de la France à son parc nucléaire, une vulnérabilité » car, aujourd'hui, « 25 % du parc est à l'arrêt pour des raisons de maintenance et même de sûreté. » L'idée de son candidat en la matière, c'est d'agir sur la consommation. De la réduire. Tout en développant les énergies renouvelables. Au fur et à mesure que des progrès seront faits dans ces deux domaines, les réacteurs nucléaires pourront être fermés. D'ici 20 ou 25 ans. « Ou peut-être 5 ans de plus. Nous sommes sur une logique pragmatique. Il n'y aura pas de mise en question de la sécurité de l'approvisionnement électrique de la France. Et nous ne sortirons pas du nucléaire tant que le prix à payer sera le recours à plus d'énergies fossiles. Il n'y aura pas de fermeture de réacteur au cours du prochain quinquennat », nous assure Delphine Batho. « Sauf si l'ASN l'ordonne. » Yannick Jadot annonce ainsi « qu'une dizaine de réacteurs devraient être fermés d'ici 2035 ». Il promet, en parallèle, de « soutenir l'innovation pour trouver des solutions à la gestion des déchets » et de « développer une filière d'excellence pour le démantèlement ».
La bataille semble donc vouloir faire rage autour de la pertinence de s'orienter ou non vers un nouveau parc nucléaire porté par les désormais fameux EPR 2. Arriveront-ils réellement trop tard ? Ce n'est en tout cas pas ce que promettait EDF il y a quelques mois. Les ingénieurs travaillent aujourd'hui sur les plans détaillés de ces modèles de réacteurs. Et la première mise en service est annoncée en 2035. Les six réacteurs souhaités par Emmanuel Macron pourraient, quant à eux, être fonctionnels d'ici 2042. Le pari est pris...
EDF, toujours, assure que l'avant-projet sommaire de Nuward, le modèle français de SMR, est terminé. Il ne lui manquerait que l'appui du pouvoir politique pour qu'un premier chantier puisse être lancé en France avant que le petit réacteur ne vise le marché du remplacement des centrales au fioul ou au charbon à l'étranger dès les décennies 2030 et 2040. L'ASN, quant à elle, semble estimer qu'il s'agit là d'un concept intéressant en termes de sûreté. Car le SMR, par sa petite taille, est plus facile à refroidir. Et sa fabrication en usine offre de meilleures conditions que le montage directement sur chantier des centrales nucléaires classiques.
Concernant la question de l'indisponibilité du parc nucléaire, le bilan électrique du gestionnaire du réseau de transport d'électricité (RTE) 2021 confirme qu'au cours de l'année dernière, elle a atteint une moyenne de 18,4 GW pour 61,4 GW installés.
Les autres candidats se rangent dans le camp des pronucléaires. De ceux qui comptent sur un nouveau parc. Marine Le Pen d'abord, annonce vouloir « relancer la filière nucléaire ». Comment ? Par « une réouverture de la centrale nucléaire de Fessenheim » et le « prolongement de la durée de vie des réacteurs actuels jusqu'à 60 ans ». Et puis, avec « la mise en service de cinq paires d'EPR en 2031 et de cinq paires d'EPR 2 en 2036 ».
Jean Lassalle souhaite « rénover et prolonger de 25 ans les centrales nucléaires en fin de vie ». Et il voit déjà plus loin en annonçant vouloir « développer les centrales nucléaires de 4e génération », mais aussi « investir dans la fusion (projet Iter) ».
Valérie Pécresse envisage « un plan de relance de l'énergie nucléaire » avec la « construction d'au moins six nouveaux réacteurs EPR, le redémarrage du projet de réacteur de nouvelle génération et sans déchets et des investissements massifs dans les réacteurs existants pour en prolonger la durée de vie ».
Fabien Roussel, de son côté, veut « investir dans l'électricité nucléaire avec la construction de six EPR supplémentaire au minimum ».
Éric Zemmour appelle à « supprimer l'objectif de réduire à 50 % la part du nucléaire dans le mix électrique en 2035, stopper la fermeture annoncée de douze réacteurs pour 2030 et allonger la durée de vie du parc existant à 60 ans au moins ». Sur ses tablettes, « la construction d'au moins 14 EPR 2 à l'horizon 2050 et le développement de SMR avec un modèle prêt à construire d'ici la fin du quinquennat ». Et la « relance de la recherche sur le nucléaire du futur et la fusion nucléaire ».
Nicolas Dupont-Aignan demande aussi l'« abandon de l'objectif de 50 % de nucléaire dans la production électrique en 2035, le maintien du nucléaire à 70 % de la production électrique minimum et la poursuite de la recherche pour un nucléaire 100 % propre ainsi que le lancement d'un plan de développement de la filière thorium sur 30 ans ».
Des (pro)positions… à la réalité
Une filière thorium ? Les experts du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) n'y voient pas d'intérêt technico-économique ni sur le court ni sur le moyen terme. Notamment pour la France qui dispose d'un parc mature de réacteurs fonctionnant à l'uranium et au plutonium. Dans l'immédiat, les réacteurs au thorium semblent ne pouvoir être compétitifs que pour les pays qui possèdent des gisements importants car leur mise en œuvre requiert des investissements lourds et des procédés spécifiques. Les ingénieurs du CEA étudient tout de même l'option, car elle pourrait devenir intéressante sur le long terme.
Concernant l'objectif de 70 % de nucléaire dans la production électrique après 2035, on peut s'interroger sur la façon dont il sera atteint. La Cour des comptes estimait en début d'année qu'il ne sera déjà pas possible de maintenir la part de 50 % projetée par la stratégie nationale bas carbone au-delà de 2050 -- si, comme cela semble vouloir être le cas, une grande partie du parc actuel aura été mise à l'arrêt -- sauf à lancer entre 25 et 30 EPR !
Difficile d'imaginer aussi compter réellement sur les réacteurs de 4e génération. Les réacteurs à neutrons rapides sont de ceux-là. La filière est prometteuse. Notamment parce qu'elle permettrait de fonctionner en utilisant le combustible usé des réacteurs actuels. Mais ils ne seront pas opérationnels demain. Il faut en effet au moins 20 ans pour mener un tel projet à maturité. Sans parler de la phase de construction.
La problématique est la même -- c'est sans doute peu de le dire -- pour le projet Iter. La mise en exploitation de ce projet scientifique n'est pas attendue avant 2025. Et il faudra ensuite encore de longues années avant de voir produire de l'énergie à partir de la fusion nucléaire.
Quant à l'idée de rouvrir la centrale nucléaire de Fessenheim, elle ressemble à une proposition politicienne. Sans même revenir sur les raisons qui ont conduit à la fermeture des réacteurs, rappelons que de lourds travaux devraient être engagés avant de pouvoir les relancer. Et il faut savoir que le prédémantèlement est déjà largement engagé. Selon les experts, il n'est pas réversible. Marine Le Pen, elle-même, évoquait « un point de non-retour » qui serait atteint en ce mois de mars 2022.
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