C’était l’élément de langage favori des troupes du président de la République ce jeudi, lendemain de discours d’Emmanuel Macron devant les eurodéputés au Parlement de Strasbourg. Les critiques des eurodéputés français d’opposition, dont celles de Yannick Jadot, candidat à la présidentielle qui s’est offert une sorte de duel avec le chef de l’Etat ? «Quelle honte de transformer cet hémicycle en Assemblée nationale ! Ce n’est pas respectueux ni des parlementaires, ni du débat», a répondu – juste après Jadot – le patron macroniste des députés Renew, Stéphane Séjourné, ancien conseiller à l’Elysée d’Emmanuel Macron.
«C’était proprement indigne, a rebondi jeudi Pieyre-Alexandre Anglade, responsable des Affaires européennes à LREM. Quand vous esquivez le débat européen, comme l’a fait [mercredi] Yannick Jadot, pour se servir de ce débat comme d’un marchepied pour l’élection présidentielle, vous sabotez le projet européen.» Mêmes outrances chez Clément Beaune : «Ils nous répètent que la présidence française de l’Union européenne ne devrait pas être percutée par l’élection présidentielle… et ils confondent le Parlement européen et une salle de meeting. Lamentable», a tweeté mercredi le ministre délégué aux Affaires européennes. Cette désolation était partagée par des députés européens influents, comme le belge Guy Verhofstadt («Je pensais que vous étiez sur Antenne 2 ou TF1, a-t-il dit à Jadot. L’Europe n’a pas besoin de division mais d’unité. L’heure est grave pour l’Europe, on est menacé à l’intérieur») ou l’Allemand Reinhard Bütikofer, pourtant membre du même groupe (écologiste) que Jadot et regrettant que son camarade ait «utilis[é] cette opportunité pour donner un discours de campagne comme candidat à la présidentielle française».
Mais à quoi s’attendaient-ils ? A ce que les députés français insoumis, socialistes, LR ou du Rassemblement national abandonnent la politique ? Dissertent seulement sur le programme de la présidence française de l’UE (déjà connu de longue date) et ne parlent pas de climat, d’immigration ou de social, sujets qui intéressent les citoyens ? En quoi est-ce mal d’avoir importé la campagne politique française, deuxième pays de l’UE, dont le résultat aura, forcément, un impact sur notre avenir commun ? Par ailleurs, qui en est le premier responsable si ce n’est Emmanuel Macron qui a maintenu cette présidence française en pleine période électorale et ne se prive pas d’utiliser son temps de parole sur le sujet (non comptabilisé par le CSA au passage) pour faire lui aussi campagne ? Fallait-il renforcer un peu plus la «bulle» strasbourgo-bruxelloise qui fait que les citoyens se désintéressent totalement des décisions prises pour eux dans ces enceintes ? En quoi est-ce problématique d’entendre des joutes verbales, de la contradiction frontale, dans un lieu réputé (souvent de façon imméritée) pour ses arrangements entre les différentes familles politiques du continent ?
Vrai débat démocratique et clivant
Quand Daniel Cohn-Bendit se permettait – habillé qui plus est d’un t-shirt appelant, en 2008, au boycott des JO de Pékin et au fort volume sonore – d’accuser Nicolas Sarkozy de «se mettre à genoux devant le lobby de l’automobile» ou lui reprochait «d’aller manger avec des baguettes avec le président de Chine pour ouvrir les Jeux Olympiques» pendant que des «prisonniers croupissent dans des prisons», on trouvait ça formidable. Lorsque c’est Yannick Jadot, Jordan Bardella ou Manon Aubry, les mêmes trouvent cela lamentable. Eh bien assumons-le : oui, on a apprécié qu’un moment de la campagne présidentielle française se déroule dans cette enceinte européenne trop peu connue du grand public français, sous le drapeau étoilé, avec des interventions politiques, certes polémiques mais – même pour le RN – sur des sujets de fond. D’avoir eu droit, non pas à un débat feutré mais clivant. Des attaques d’un côté, des réponses d’Emmanuel Macron, elles-mêmes très politiques, de l’autre.
On n’a pas eu l’impression d’avoir assisté à un «triste spectacle» de querelles françaises mais à un vrai débat démocratique. Qu’on ne vienne pas nous rappeler que «jamais les Allemands n’auraient osé faire ça avec Angela Merkel». Ils l’ont eue seize ans face à eux au Bundestag, où elle répondait directement à leurs questions, quand le Président français, séparation des pouvoirs oblige, ne peut mettre un orteil à l’Assemblée nationale ou au Sénat. Tout juste peut-il – exceptionnellement – s’exprimer devant les parlementaires réunis en congrès à Versailles. Sans pouvoir leur répondre. Preuve, peut-être, qu’il est grand temps de changer nos propres institutions.
Faire campagne présidentielle au Parlement européen? Et alors? - Libération
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