2022, voyage au centre de l'abstention
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«Tu connais des gens qui ne votent pas toi ?» Sonia, 72 ans, lance la question à Bernadette, 62 ans, Gina, 29 ans et Martine, 72 ans qui balancent chacune leur tête de gauche à droite. Juste avant, leurs voix s’étaient mélangées pour dire : «Je vote, c’est mon devoir !» Comme chaque mardi après-midi, elles bavardent et jouent aux dés au centre culturel Fernand-Léger, au milieu du quartier de la République, à Avion. Un bastion communiste de l’ancien bassin minier du Pas-de-Calais, dans lequel la droite n’existe pas et où les duels électoraux opposent l’extrême droite à la gauche au sens large.
Autour de la longue table, le discours contre l’abstention devient de plus en plus sévère. Pourtant, dans cette ex-cité minière où quelque 12 000 personnes étaient inscrites sur les listes électorales en 2017, l’abstention progresse à chaque scrutin présidentiel depuis dix ans. En 2017, Marine Le Pen y avait battu Emmanuel Macron, alors que 28,51 % des électeurs avaient décidé de ne pas les départager, plus de 3 points au-dessus de la moyenne nationale.
En bout de table et à contre-courant, Stéphanie, 46 ans, souffle : «Je ne sais pas si je vais y aller.» A chaque élection, la mère de famille, employée dans une cantine scolaire, se décide au dernier moment. «Peut-être que j’irai voter Fabien Roussel au premier tour mais comme il ne sera pas au second…» La communiste laisse échapper un soupir, celui des gens lassés de voter à contrecœur pour désigner celui ou celle qui présidera le pays.
«Petit à petit, il y a eu une perte de confiance»
Il y a cinq ans, elle a choisi «Macron pour bloquer Le Pen», mais n’a pas voté aux législatives dans la foulée. Et si l’affiche du second tour 2022 l’oblige à arbitrer le même face-à-face qu’en 2017 ? «Je ne me déplacerai pas.» Pendant une partie de 421 qui se dispute à côté d’elle, quelqu’un imagine Zemmour dans la bataille finale. «Alors lui, je ne peux pas. C’est encore pire que Marine… écarte Stéphanie. Contre lui, elle ne s’abstiendra pas, jamais.
De l’autre côté du couloir, Catherine, 65 ans, infirmière à la retraite, s’éclipse du club de couture – où «l’on ne parle jamais de politique» – pour expliquer les raisons de son abstention. Pour le moment, aucun candidat ni aucune candidate ne l’inspire à gauche. Elle n’a pas du tout envie de voter à droite, pourrait se mobiliser pour faire perdre Zemmour mais pas forcément Le Pen. Un air de déjà-vu. «On a tellement de promesses au début. On y croit et puis finalement, il ne se passe rien, dit-elle. Où va l’hôpital ? Ça ne s’est pas fait du jour au lendemain. Il y a vingt ans déjà on fermait des lits et on continue d’en fermer…»
Catherine situe ses premières abstentions électorales au début des années 2000. «Petit à petit, il y a eu une perte de confiance», se souvient-elle sans vraiment réussir à identifier un moment de rupture. Elle partage plutôt le souvenir de petites déceptions ayant gâché sa relation avec les politiques. Pour Macron, ça sonne dans sa bouche comme une succession de phrases méprisantes : traverser la rue pour trouver du travail et travailler pour se payer un costard. «Ce n’est pas moi qui vais faire pencher la balance, regrette-t-elle. Je sais bien que si tout le monde fait comme moi, ce n’est pas top… Mais à chaque fois, on nous dit de voter pour que ça change alors que rien ne change et que le quotidien est de plus en plus difficile. On ne vote plus parce qu’on est déçus.»
A Avion, «on nous dit de voter pour que ça change alors que rien ne change» - Libération
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