« Alors, vous êtes contents ? Votre salaire a été augmenté de 10 % ! » : voilà le genre de remarques qu’entendent de nombreux enseignants depuis les déclarations du président de la République à Ganges dans l’Hérault le 20 avril 2023. Mais attention, il faut remettre les pendules à l’heure.
10 % d’augmentation ? Non. Ce taux ne concerne qu’une petite partie des enseignants – et encore faut-il qu’ils s’engagent à travailler plus ! En moyenne l’augmentation est de 5,5 % (alors que l’inflation est à 6 %). Donc non, les enseignants ne sont pas contents : le seriez-vous si vous aviez perdu 40 % de pouvoir d’achat en une trentaine d’années ?
Il faut en effet tenir compte du fait que, depuis 1983, le point d’indice n’est plus indexé automatiquement sur l’inflation. Depuis 2010, il a même été quasi-gelé, avec à peine deux augmentations de 0,6 % en 2016 et 2017, et une de 3,5 % en juin 2022.
Promesse oubliée
En ce qui concerne les enseignants, on a surtout agi sur la vitesse des promotions et la création de nouvelles classes de rémunération (classe « exceptionnelle »). Autrement dit, si les enseignants ont vu leur revenu progresser c’est parce qu’ils vieillissaient et passaient d’un échelon à un autre.
Mais si on prend un repère tel que le Smic comme le fait l’économiste Lucas Chancel, on constate que si le salaire d’entrée des profs de collège et lycée était de près de 2,2 fois le Smic en 1980, il est aujourd’hui en 2023 de 1,1 fois le Smic.
En 2022, lors du débat télévisé du 21 avril, le président-candidat avait annoncé une « revalorisation inconditionnelle de 10 % pour tous les enseignants ». Mais depuis, cette promesse a été oubliée.
A Ganges, Emmanuel Macron a donné quelques arbitrages sur ce qui était encore en suspens. Sans tenir compte du dialogue social (c’est une habitude…), Il a imposé une logique conditionnelle du « travailler plus pour gagner plus » avec un « Pacte » face aux enseignants et leurs syndicats qui le refusent et ont quitté les négociations le 6 mars dernier. L’apaisement… vraiment ?
La revalorisation est divisée en deux parties. La première, appelée aussi « socle », représente un budget de 1,9 milliard pour 2024. Cela représente entre un peu moins de 100 euros et jusqu’à 230 euros par mois selon le moment de la carrière. Cette partie de la revalorisation prendra la forme pour l’essentiel d’un doublement des primes existantes (Indemnité de suivi et d’orientation des élèves – ISOE - en collège et lycée et Indemnité de suivi et d’accompagnement des élèves – ISAE - en primaire ainsi que les primes spécifiques pour les profs docs et les CPE) et l’accélération des passages d’échelon.
Pour les débuts de carrière, on agit aussi sur la prime d’attractivité pour qu’aucun enseignant ne débute à moins de 2 000 euros/mois. Il faut noter que ce ne sont que des primes (qui ne comptent pas pour la retraite). La seule augmentation de salaire est celle liée au point d’indice. La petite astuce est qu’on l’intègre dans les 10 % criés sur tous les toits ! Une partie de l’augmentation prévue à la rentrée comprend donc des revalorisations et des primes qui étaient en fait déjà en place.
Derrière la moyenne, des disparités
Il y a par ailleurs une partie conditionnelle (le fameux « pacte ») qui repose sur des missions complémentaires décomposées en « briques » (c’est le terme officiel !). Elles seront mieux rémunérées que les heures supplémentaires, promet le ministre de l’Education Pap Ndiaye. Elles donneront droit chacune à une rémunération forfaitaire de 1 250 euros bruts annuels (On peut en cumuler trois). Le Pacte dans son ensemble correspond à un budget de 900 millions d’euros.
La première « brique » du Pacte est obligatoirement le remplacement de courte durée. Il faut l’accepter pour pouvoir bénéficier des autres « briques » qui correspondent aux autres missions, telles que les tâches de coordination ou de professeur référent (numérique, culture, décrochage, etc.). Il y a aussi une brique qui concerne les missions de coordination des projets innovants dans le cadre du Conseil national de la refondation (CNR) éducation.
Pour le premier degré, où lorsqu’un professeur est absent, les élèves sont accueillis dans les autres classes, le Pacte repose surtout sur les heures de soutien qui s’étendent aussi jusqu’en sixième avec notamment le dispositif « devoirs faits ».
La promesse de campagne d’une « revalorisation inconditionnelle de 10 % pour tous » n’est donc pas tenue. Selon les syndicats, il aurait fallu pour cela mettre 3,6 milliards d’euros sur la table.
Un excellent article de l’AFP-Factuel du 25 avril rétablit la vérité des chiffres : il s’agira d’une hausse moyenne de 5,46 % entre septembre 2022 et septembre 2023 pour la rémunération « socle ».
Cette moyenne cache des disparités. Les hausses de rémunération seront plus élevées pour les enseignants en début de carrière, entre 8 % et 11 % avant 11,5 ans d’ancienneté, mais de seulement 3 % à 6 % au-delà. La revalorisation ne compenserait alors pas l’inflation, qui a atteint 5,2 % en 2022 et 6 % en avril 2023 sur un an - qu’en sera-t-il, d’ailleurs, en septembre lorsque ces primes seront versées ? Pour 70 % des professeurs, les hausses de 2023 seront inférieures aux pertes de pouvoir d’achat sur un an. Malgré des chiffres en apparence mirobolants, la baisse du pouvoir d’achat se poursuit bel et bienUne note du collectif « Nos services publics » précise l’ampleur de la baisse du pouvoir d’achat. Celle-ci s’inscrit d’abord dans le gel du point d’indice évoqué plus haut. En prenant comme exemples le cas de trois enseignants avec différentes anciennetés, l’étude montre que « la sous-indexation du point d’indice a causé des pertes cumulées comprises entre 18 000 euros et 70 000 euros pour les trois carrières-types étudiées ».
Depuis 2000, la totalité des mesures salariales prises à l’endroit des enseignants a donc consisté, non pas en une revalorisation, mais en une limitation de la chute de leur pouvoir d’achat. Pour reprendre la belle expression de cette note, la revalorisation de la « carrière » des enseignants consiste à « monter un escalator qui descend ».
J’ai usé jusqu’à la corde de cette métaphore : le ministère agit comme ces opérateurs téléphoniques qui font des offres alléchantes pour les nouveaux abonnés, mais se rattrapent sur les tarifs de ceux qui le sont déjà ! Dans quel autre métier, peut-on avoir des débutants qui gagneront autant sinon plus que des enseignants avec 20 ans de carrière ? Un des effets pervers de cette situation risque d’être une forme de « quiet quitting », c’est-à-dire un désengagement silencieux, alors que ces enseignants sont très souvent investis dans de nombreuses responsabilités.
Est-ce que cela permettra à l’inverse de créer un choc d’attractivité et d’attirer de nouveaux enseignants ? Rien n’est moins sûr. La pénurie de candidats aux concours semble durable et a de multiples raisons. La comparaison avec les autres titulaires d’un bac+5 reste défavorable. Et la perspective d’une carrière « plate » ne risque pas d’arranger les choses, tout comme la perception des conditions de travail.
Réinventer des choses déjà existantes
Jusqu’à maintenant, nous avons surtout évoqué la vraie-fausse augmentation inconditionnelle mais là où les inégalités vont se cristalliser c’est avec le pacte...
On va transformer les enseignants en « chasseurs de primes » alors qu’ils sont déjà en surcharge de travail. Outre que cela renforcera les inégalités entre le primaire (peu concerné par ces mesures) et le secondaire, ces primes sont aussi facteurs d’inégalités entre hommes et femmes (qui prennent moins d’heures supplémentaires). Et ne parlons pas des possibles dérives liées au pouvoir d’attribution des chefs d’établissement et de la sale ambiance en salle des profs…
Mais surtout, la complexité des emplois du temps et la lourdeur des services vont rendre très difficiles les remplacements de courte durée dans le secondaire. C’est l’expérience qui le dit. Car ce n’est en rien une nouveauté. Le décret sur les Remplacements de courte durée (RCD) existe depuis 2005. Comme souvent dans la communication sur l’Ecole, on réinvente des choses qui existent déjà !
Pour l’avoir expérimenté, je peux dire que ces remplacements sont non seulement difficiles à organiser mais aussi pédagogiquement peu efficaces. Le seul cas où ça peut fonctionner c’est lorsqu’un prof d’une classe apprend qu’un collègue d’une autre discipline mais de la même classe est ponctuellement absent et que parce qu’il a un trou dans son emploi du temps, il peut proposer une heure en plus de son propre cours. Cela fait beaucoup de conditions à réunir !
Dans les exemples présentés par le ministre, on cite le cas d’un professeur de mathématiques qui va « prendre », l’heure d’un collègue d’anglais. A charge pour ce dernier de rattraper ces heures. S’il le peut.
Quant aux remplacements, la vraie réponse est à trouver dans le rétablissement d’un corps de titulaires-remplaçants. Mais cela supposerait des créations de postes alors qu’on vient d’en perdre plus de 4 000 en 2022 et qu’on en prévoit 1 550 en moins en 2023.
Il y a plusieurs conclusions à cette « séquence ». La première est rassurante. Il n’a fallu que quelques jours pour que la communication gouvernementale soit démontée de manière rigoureuse par plusieurs articles et études. Mais, et cela est plus inquiétant, on peut craindre que ces chiffres répétés à l’envi dans les médias n’aient déjà fait des dégâts dans l’opinion. Celle-ci est malheureusement souvent prompte à juger que les enseignants sont toujours en train de se plaindre alors qu’ils travaillent peu et sont toujours en vacances.
« Alors, vous êtes contents ?» risque d’être une phrase souvent entendue par les enseignants. A moins qu’elle ne soit couverte par le bruit des casseroles…
Enseignants : alors, heureux ? - Alternatives Économiques
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