C'est, à première vue, un paradoxe surprenant : alors même que les prix du gaz chutent depuis trois semaines sur les bourses d'échange européennes, jusqu'à atteindre des niveaux plus bas qu'avant la guerre en Ukraine, le prix réellement payé par les consommateurs, lui, monte en flèche. En effet, 2023 commence sur une note amère pour les particuliers se chauffant au gaz, jusqu'ici relativement protégés des effets de la crise de l'énergie. Car dès janvier, la facture des ménages français ayant souscrit au tarif réglementé de vente (TRV), c'est-à-dire l'offre d'Engie encadrée par les pouvoirs publics, augmentera de 15% par rapport au 31 octobre 2021 - soit 130 euros de plus environ par tête et par an. Une revalorisation qui promet d'entraîner tous les autres contrats à la hausse, chez Engie comme ailleurs.
Et pourtant, dans le même temps, le prix du gaz sur le Title Transfer Facility (TTF), la bourse de référence sur le Vieux continent, continue de baisser. Ainsi, le mégawattheure (MWh) de gaz se vendait ce mercredi à moins de 65 euros pour le lendemain, soit un montant bien inférieur à ceux enregistrés ces derniers mois, notamment en août, lorsque le MWh avait culminé à près de 300 euros après l'annonce d'une réduction des livraisons par Moscou. Surtout, les cours ont également dégringolé sur les marchés à terme (où les prix sont établis pour une livraison dans le futur, de 3 mois à 5 ans plus tard) : les contrats pour le quatrième trimestre de 2023 se négociaient mercredi autour de 80 euros le MWh, contre environ 150 euros ces derniers mois. Comment se fait-il alors que les prix réellement payés par les clients résidentiels suivent le chemin inverse ?
Le miroir déformant du bouclier tarifaire
Pour le comprendre, il faut d'abord distinguer le marché de gros du gaz, où les prix baissent depuis trois semaines, et celui de détail, qui se reflète sur les factures des clients particuliers. En schématisant, le premier pourrait s'apparenter à Rungis, cet immense marché alimentaire où les professionnels s'approvisionnent en produits frais, tandis que le second se rapprocherait plutôt du supermarché.
Ainsi, le marché de gros du gaz correspond au segment où les fournisseurs d'énergie et certains grands consommateurs industriels achètent et vendent cet hydrocarbure en grandes quantités pour le revendre. Le marché de détail, lui, regroupe les consommateurs finaux, tels que les particuliers ou les petites entreprises. Or, si le premier influence évidemment le second, les prix du MWh peuvent être très différents selon le marché concerné. Notamment en ce moment, puisque les montants payés par les particuliers via le marché de détail ne suivent plus du tout les cours réels du marché de gros. Et ce, pour une raison simple : depuis plus d'un an, le bouclier tarifaire déployé par l'Etat afin de protéger les consommateurs déforme la réalité, en rendant le gaz bien moins cher que ce qu'il ne vaut réellement.
« Sans cette aide, le tarif réglementé du gaz aurait augmenté de 122% au 1er décembre ! Dans les faits, celui-ci a été gelé dès octobre 2021. Il a ensuite été décidé de permettre sa hausse dès 2023, mais de la plafonner à 15%, donc très loin des +120% », explique à La Tribune Xavier Pinon, courtier en énergie.
Autrement dit, les prix effectivement payés par les clients résidentiels n'ont plus rien à voir, ou presque, avec la réalité des marchés. Et cela ne concerne pas que les clients au TRVgaz, qui représentent environ 25% des consommateurs particuliers de gaz. Car le TRV sert en réalité de référence, ou de balise, à la plupart des fournisseurs alternatifs (autres qu'Engie), qui s'y indexent (pour ne pas perdre des clients). Ceux-ci reçoivent d'ailleurs des compensations financières de l'Etat pour s'y ajuster malgré la crise, éloignant un peu plus les mensualités des ménages de la volatilité extrême sur les marchés, afin de les protéger.
Un rattrapage à venir
Ce n'est pas tout : dès le début, l'exécutif a prévenu que ce bouclier tarifaire ne s'apparentait pas à une subvention, et qu'un « rattrapage » aurait lieu. Et pour cause, afin de permettre ce tour de passe-passe, les contribuables sont forcément appelés à la rescousse. « Dans un premier temps, c'est lui qui paie plutôt que le consommateur. C'est le choix qui a été fait en France. Mais cela représente un montant stratosphérique pour les finances publiques, qu'il faudra bien rembourser, au moins en partie », explique Jacques Percebois, économiste spécialiste de l'énergie.
Par conséquent, même si les prix du gaz sur le marché de gros chutent, les clients résidentiels devront, de toute façon, payer plus cher que prévu après la crise afin de compenser les aides en vigueur depuis plus d'un an. Dans les faits, il faudrait même que les cours dégringolent bien plus qu'actuellement pour pouvoir parler de « rattrapage » : « A 60 ou 70 euros du MWh, on reste à des niveaux bien plus élevés que ce qui était considéré comme normal avant la crise, c'est-à-dire 20 à 25 euros », souligne Jacques Percebois. En d'autres termes, le marché reste très agité, et les particuliers continuent donc de bénéficier du bouclier tarifaire malgré l'accalmie, ce qui renchérit un peu plus le montant total qu'ils devront ensuite rattraper via leurs factures.
« Si l'on repartait sur des prix à 30 euros le MWh, peut-être que le gouvernement commencerait à parler de rattrapage. Par exemple, il maintiendrait à +15% le TRV, ou déciderait d'une nouvelle hausse afin de commencer un remboursement », conjecture Xavier Pinon.
Inutile, donc, d'espérer voir ses mensualités baisser de sitôt. Et ce, même en cas de retournement total du marché, par ailleurs peu probable tant les conditions d'approvisionnement restent fragiles en Europe. D'autant qu'il est prévu, en vertu d'une loi votée en 2019 afin de se plier aux exigences de libre concurrence de Bruxelles, que le tarif réglementé de vente du gaz pour les particuliers disparaisse d'ici à juillet 2023. Une échéance qui promet de rendre la situation encore plus illisible.
Pourquoi les factures de gaz augmentent...alors que les prix chutent - La Tribune.fr
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