ENTRETIEN -La mission Artémis-1 va marquer le retour des Américains sur la lune après un demi-siècle d'absence. Pour l'universitaire Olivier Mousis, si l'Europe reste le premier continent scientifique et technologique du monde, elle souffre de son manque de chercheurs et d'ingénieurs dans cette course à l'espace.
Olivier Mousis est enseignant-chercheur au Laboratoire d'astrophysique de Marseille. Il enseigne à l'université Aix-Marseille.
LE FIGARO. - La mission Artemis-1, dont le décollage de la fusée est prévu prochainement, doit marquer le début du programme américain de retour sur la Lune permettant à l'humanité d'atteindre la planète Mars dans un second temps. Pourquoi l'Europe semble-t-elle incapable de mener à bien de telles missions ?
Olivier MOUSIS. - Dès la création de l'ESA, l'Europe a renoncé à opérer des vols habités, probablement parce qu'il y avait un refus de prendre des risques à envoyer des gens dans l'espace. Il fallait donc qu'elle bénéficie de l'accès à l'espace via d'autres agences spatiales américaines ou soviétiques. Depuis quelque temps, on se rend compte que l'accès à l'espace est un grand enjeu stratégique. L'ESA est en train de revoir sa copie mais il faudrait une augmentation de budget significative pour que l'on y parvienne.
À titre personnel, je souhaite que l'on y parvienne. Cela créerait de la cohésion dans nos sociétés européennes, galvaniserait les jeunes et mettrait en avant les études scientifiques. L'Europe manque d'ingénieurs et de chercheurs. La conquête spatiale est un moteur extraordinaire. Concernant le programme Artémis, pour l'instant il s'agit d'envoyer «seulement» des astronautes en orbite lunaire. Le module de descente et le lanceur associé ne sont pas encore prêts. Pour ces derniers, une sous-traitance par un partenaire privé est envisagée (SpacX ou Blue Origin). En l'absence d'un tel développement, il se pourrait que l'homme ne revienne pas tout de suite sur la lune !
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Par ailleurs, la Nasa elle-même est aujourd'hui concurrencée par des start-up spatiales créées par les milliardaires de la côte Ouest des États-Unis. En quoi est-ce un changement majeur dans l'histoire de la conquête spatiale ?
La NASA n'est pas vraiment concurrencée par ces start-ups puisque c'est elle qui finance leurs projets. Par ailleurs, cela fait des décennies que la NASA sous-traite la construction de ses vaisseaux spatiaux (navettes, module lunaire, etc.) avec le secteur privé. Le secteur aéronautique a prodigieusement avancé au cours du XXe siècle grâce à la privatisation du secteur et il est à parier que le secteur spatial va prendre un tel essor. Il est fort probable que des sociétés telles que SpaceX ou Blue Origin permettront de réduire les coûts des missions pour aller sur la Lune ou Mars. Ce n'est pas un hasard si ces deux entreprises sont mises en compétition par la NASA pour délivrer le module lunaire. Elles sont en train se briser les partenariats institutionnels avec des sociétés telles que Boeing ou Lockheed Martin qui avaient l'habitude de construire des vaisseaux spatiaux sans trop de limites assignées aux coûts. Le business est en train de se rationaliser et, grâce aux nouveaux venus du secteur privé, le coût du kilogramme à envoyer en orbite se casse la figure.
Je pense sincèrement que l'Europe est toujours le premier continent scientifique et technologique au monde. Nous pourrions aisément combler nos lacunes avec un peu de volonté.
Olivier Mousis
L'Europe a-t-elle manqué d'ambition dans les choix techniques du programme Ariane ? Les acheteurs publics européens se sont-ils focalisés sur les prix des missions ?
Ariane 5 a longtemps régné sans partage sur le marché des lanceurs spatiaux à l'époque qui a suivi l'arrêt de la navette spatiale américaine. J'ai l'impression que cette hégémonie du secteur pendant une décennie a un peu aveuglé les acteurs européens qui n'ont pas vu venir l'intérêt des lanceurs réutilisables. Je pressens que la carrière d'Ariane 6 sera courte. Aujourd'hui, le secteur privé européen se focalise déjà sur la prochaine génération de lanceurs utilisables. Je pense sincèrement que l'Europe est toujours le premier continent scientifique et technologique au monde. Nous pourrions aisément combler nos lacunes avec un peu de volonté. La volonté, c'est la seule chose qui manque à l'Europe.
Dans une tribune publiée dans le journal Libération, des chercheurs en écologie avaient même demandé à Thomas Pesquet de cesser d'aller dans l'espace pour des raisons environnementales. L'écologie gagnera-t-elle à ce qu'Ariane connaisse, dans le domaine de l'espace, le même destin que le Minitel ?
Il s'agit toujours de la même rengaine aveugle… Pourquoi dépenser des milliards dans le spatial alors que des gens meurent de faim sur Terre, les fusées polluent, etc. D'une part, la pollution atmosphérique liée aux lancements est négligeable, et d'autre part nos amis écologistes oublient les retombées scientifiques et technologiques générées par le développement de nouvelles technologies. Une grande partie des réponses à apporter au réchauffement climatique viendra de ces nouvelles technologies… Le bond technologique accompli par les États-Unis pendant le développement des missions Apollo en est la parfaite illustration.
Mission Artémis-1: «Pourquoi les États-Unis retrouvent la lune alors que les Européens restent cloués au sol?» - Le Figaro
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