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Friday, November 5, 2021

Procès des attentats du 13 Novembre : «Vous étiez un exemple alors ?» - Libération

Il est apparu dans un film suédois promouvant «l’intégration» par le sport et faisant la part belle à ce gamin d’une douzaine d’années, d’origine palestino-syrienne, et doté d’un certain talent pour le foot. Osama Krayem vivait alors dans un quartier populaire et multiculturel de Malmö, dont le pendant belge pourrait être, selon ses dires, la fameuse enclave de Molenbeek. «Vous étiez un exemple !» s’exclame le président de la cour d’assises spécialement composée de Paris. «Pourquoi avoir participé à ce film ? Vous vous sentiez bien intégré dans la société suédoise ?», cherche à savoir Jean-Louis Périès au troisième jour des interrogatoires de personnalité des accusés du procès des attentats du 13 Novembre. «Non, je vivais dans un endroit où il n’y avait même pas de Suédois», répond laconique Osama Krayem, qui, à 29 ans, encourt la perpétuité.

Debout dans le box vitré, le Suédois arbore de longs cheveux bruns et une carrure balaise moulée dans un sweat gris clair. Accompagné d’une interprète en arabe, il s’exprime derrière son masque - c’est le seul -, laissant deviner une épaisse barbe noire. Après plus d’un mois consacré aux éprouvants témoignages des parties civiles, la cour a entendu onze des quatorze accusés sur leur vie d’avant, leur parcours scolaire et professionnel, leurs relations familiales et sentimentales… Tout doit être balayé pour comprendre qui l’on juge. Tout sauf la question religieuse, qui déborderait sur le fond de l’affaire, lequel ne sera abordé que l’an prochain, tout comme les expertises psychologiques et psychiatriques. Un séquençage très pointilleux qui donne parfois lieu à quelques flottements durant les débats.

C’est un film d’un tout autre genre qui vaut aujourd’hui à Osama Krayem sa glaçante réputation. Le jeune homme, présenté par l’instruction comme un membre de «l’unité d’élite rattachée à la cellule des opérations extérieures» de l’Etat islamique (EI), a été identifié sur une vidéo de propagande comme un des bourreaux de ce pilote jordanien brûlé vif dans une cage, le 3 janvier 2015. Le Suédois est d’ailleurs poursuivi dans son pays pour «crimes de guerre». Revenu de Syrie par la route des migrants deux mois avant le 13 Novembre, Osama Krayem aurait projeté, selon l’accusation, de commettre une attaque terroriste ce jour-là à l’aéroport d’Amsterdam, avant, quatre mois plus tard, le 22 mars 2016, de renoncer à se faire exploser dans le métro de Bruxelles.

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Devant la cour, ce gros «poisson» n’est pas bavard. Son enfance ? «Simple» et «heureuse», dit-il sans s’étendre, sur le même refrain que Salah Abdeslam et ses coaccusés depuis trois jours. Cadet d’une fratrie de trois, Osama Krayem a une grande sœur de 31 ans, Assma, dont le beau-frère serait mort en combattant les Israéliens au Liban, et un petit frère de 27 ans, Anas, multirécidiviste et «actuellement emprisonné». «Peut-être pour de la drogue», précise-t-il. Avec eux, il échangeait en suédois ; avec ses parents, en arabe. Il parle aussi anglais et apprend le français en détention. Il a étudié jusqu’à 19 ans, avant de travailler pour la commune de Malmö pendant deux ans, occupé à «construire des routes» et à déménager «des tables et des chaises».

- «Vous gagniez combien ? Cet argent, vous l’avez économisé ?» questionne le président.

- «Je l’ai utilisé.»

- «Hum… On reverra ça ultérieurement», poursuit l’acrobate Jean-Louis Périès, veillant à ne pas empiéter sur les faits et les conditions de son départ en Syrie à l’été 2014.

Son contrat de travail n’a pas été prolongé. «Je faisais des choses illégales pour gagner de l’argent. Je n’ai pas envie de rentrer dans les détails, mais j’avais des amis qui faisaient des choses hors la loi. Ils demandaient mon aide et je leur apportais. Même la police suédoise n’est pas au courant de ça, je n’ai pas envie d’en parler», poursuit Krayem. Chaque mois, il envoyait via une association humanitaire de l’argent à deux orphelins de Gaza. Une assesseure veut savoir combien - l’enquête établit un montant 21 000 euros de dons. Réponse : «Quarante euros tous les mois.»

Fréquentait-il les cafés, buvait-il de l’alcool ou se droguait-il à l’instar de certains de ses coaccusés dont la vie a longtemps été enfumée par les volutes de cannabis ? Concis, là encore : «Oui, je faisais tout, sauf la drogue.» Idem sur cette relation amoureuse de «deux trois ans», terminée juste avant son départ. Une des raisons de leur rupture ? «Aucun rapport», balaie l’accusé. Me Gérard Chemla, avocat de nombreuses parties civiles, voudrait mieux connaître son tempérament. Le Rémois cite un rapport pénitentiaire de 2018 évoquant «l’aura» d’Osama Krayem auprès de ses codétenus.

- «Vous vous décririez comme étant un meneur ou un suiveur Monsieur Krayem ?»

- «Je suis un suiveur.»

Alors que l’interrogatoire touche à sa fin, le président lui demande d’ôter son masque. L’accusé s’exécute, dévoilant des traits juvéniles et un sourire gêné. Pour délier la langue de ce client fort taiseux, l’une de ses avocates, Me Margaux Durand-Poincloux, tente de raviver le souvenir d’une vie familiale en Syrie lorsqu’il était jeune.

- «Vous souvenez-vous de cette rencontre ?» - «Oui».

La maïeutique de la robe noire achoppe.

- «Vous aimez bien les réponses courtes monsieur Krayem.»

- «Je n’aime pas les détails.»

- «Vous n’avez pas trop parlé jusqu’à présent, mais on est là pour vous écouter», poursuit l’avocate. Et de convoquer son entourage, qui le décrit comme «timide», «sensible» et «pacifiste».

Alors, Osama Krayem baisse un peu la garde : «J’ai un cœur qui est devenu dur.» «J’ai beaucoup changé après la guerre. Avant, je n’avais pas tous ces problèmes, je n’étais pas comme ça. J’étais ouvert aux autres», reconnaît celui qui n’a eu aucune parole pour les survivants et les endeuillés. Un peu plus tôt dans l’après-midi, son coaccusé Adel Haddadi, entré en Europe comme lui à travers le flot des migrants, avait eu ces quelques mots : «J’ai été très touché par les victimes. Elles m’ont brisé le cœur, j’ai été impressionné par toutes les souffrances qu’elles ont vécues.»

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