Habituée du lobbying auprès de l’Union européenne, la multinationale a vu ses salariés rennais manifester, mardi, devant le Parlement contre des suppressions de postes dans la recherche. De quoi écorner l’image de la société aux superprofits.
Strasbourg (Bas-Rhin), correspondance.
Ils ont traversé la France pour retrouver un temps breton, mais ni les bourrasques ni la pluie battante n’ont entamé la détermination de la quarantaine de salariés d’Interdigital qui ont installé leurs banderoles devant le Parlement européen, à Strasbourg. « On vient ici pour dénoncer le double langage du groupe américain, qui se présente auprès des instances européennes comme un groupe vertueux, se vante d’être une entreprise responsable, sociale et économique, et dont les lobbyistes se servent de cette vitrine pour faire passer des intérêts de l’entreprise, et aujourd’hui, pour licencier », explique Bertrand Chupeau, le délégué syndical CFDT.
Interdigital est une entreprise américaine fondée en 1972, mais sa saga française débute il y a deux ans quand le groupe Technicolor (ex-Thomson) se sépare de son portefeuille de brevets, puis de son secteur recherche. Son cœur de métier, c’est le commerce des brevets technologiques dans le domaine de la compression vidéo, ceux par exemple qui sont installés sur les téléphones portables et donc vendus à des millions d’exemplaires… « C’est typiquement une entreprise qui ne vit que des brevets, qui plus est de brevets que tout le monde est obligé d’utiliser et donc de payer », explique Jean-François Vial, le délégué syndical SUD.
Un milliard de dollars de trésorerie et beaucoup d’argent public
Interdigital possède deux centres en France, l’un qui emploie 25 personnes à Issy-les-Moulineaux, l’autre, situé à Rennes, où travaillent 200 salariés, ingénieurs et chercheurs. C’est à la fois avec surprise et consternation que ces salariés ont appris mi-mai par une indiscrétion parvenue aux syndicats qu’un plan de suppression d’emplois se préparait pour le 10 juin. Il entraînera la disparition de 60 postes dans le centre de recherche et de développement de Cesson-Sévigné, près de Rennes, sur les 141 postes existants, soit 42 % de l’effectif permanent.
« Les salariés s’attendaient à des difficultés, mais l’entreprise avait promis de trouver des solutions. Nous avons été très, très surpris d’un plan social de cette ampleur », témoigne Pierric Jouet, le secrétaire du CSE. D’autant, et c’est ce qui a déclenché la colère des salariés, que les mesures d’accompagnement et les indemnités annoncées depuis sont bien en deçà de celles qui se pratiquent dans les entreprises bretonnes du même secteur, alors qu’Interdigital a l’argent pour payer. « Ce n’est pas une boîte en bonne santé, c’est une boîte qui ruisselle d’argent ! Un milliard de dollars de trésorerie, ce qui lui permet d’affronter les Apple, les Google, en procès et en batailles sur les brevets », constate Bertrand Chupeau, qui voit dans Interdigital « la quintessence du capitalisme financier ».
Cotée au Nasdaq, l’entreprise a à sa tête les deux plus gros fonds d’investissement mondiaux, BlackRock et Vanguard. « C’est une entreprise qui gagne énormément d’argent, qui était même classée il y a quelques années comme l’entreprise américaine qui gagnait le plus d’argent par salarié », confirme Jean-François Vial. « Interdigital est sous le joug de gens qui vont chercher du profit à très court terme et c’est la recherche et le développement français qu’on sacrifie sur l’autel de ce gain immédiat », constate de son côté le député européen Damien Carême (Verts-ALE), venu soutenir les salariés, comme une quinzaine d’autres députés. Certains, comme Raphaël Glucksmann (S et D), ont été approchés par les lobbyistes d’Interdigital, qui leur ont vanté les mérites de la 5G au moment du débat au Parlement européen, ainsi que les vertus sociales de l’entreprise, ce qui a le don d’exaspérer Leïla Chaibi (la Gauche) depuis l’annonce du plan social. « On ne peut pas laisser une boîte agir en toute impunité, d’autant plus quand elle se gave d’argent public. » Selon les chiffres des syndicats, Interdigital a reçu 12 millions d’euros de crédits impôts recherche (CIR) pour la seule année 2019. La députée FI fait circuler une pétition auprès des députés européens pour que les salariés obtiennent des conditions de départ plus favorables, et non pas le minimum de la convention collective et du droit du travail comme c’est le cas actuellement.
Numérique. Interdigital licencie alors qu’elle « ruisselle d’argent » - L'Humanité
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