Lors de l’instauration du « grand oral », mesure emblématique prévue pour le baccalauréat 2021, les représentants des personnels enseignants et de parents sont montés au créneau, avec l’argument – souvent repris à l’annonce des réformes impulsées par le ministère de l’Education, quelles qu’elles soient – que ce nouvel exercice pédagogique serait forcément porteur de plus d’inégalités sociales entre les élèves.
Ce qui reste pour l’heure une hypothèse n’est pas sans fondement. Les descriptions sociologiques comme celles de Bernard Lahire montrent que les enfants des familles défavorisées sont moins poussés à exprimer leur point de vue face aux adultes, alors que, très tôt, les interactions verbales et les jeux autour du langage sont très répandus dans les familles dotées d’un certain capital culturel.
Pour autant, quel enseignant dirait que dans sa classe, les enfants de milieux populaires sont toujours les moins portés à s’exprimer, certains cherchant même particulièrement à capter l’attention ? Puis, il y a des timides dans tous les milieux sociaux.
Ne pas renoncer à cause des inégalités
Surtout, si inégalités sociales à l’oral il y a, elles doivent être mises en regard des inégalités sociales face à l’écrit, notamment aux longues dissertations générales, quand il paraît naturel pour certains de prendre la plume pour s’exprimer, alors que d’autres craignent d’être stigmatisés par une orthographe défaillante….
Certains élèves peuvent être moins complexés a priori par leur faible niveau académique et avoir le sentiment qu’à l’oral, on peut toujours « y arriver ». D’ailleurs, les examens reposant uniquement sur des épreuves orales (à l’instar du baccalauréat de 1968), jugés plus laxistes par nature, n’ont pas très bonne presse.
Et quand bien même : même si l’oral est porteur d’inégalités, faut-il renoncer à enseigner quoi que ce soit, parce que c’est susceptible de révéler ou d’accentuer des inégalités sociales entre les élèves ? Ne serait-ce la même chose si on entendait développer l’enseignement artistique ou celui des langues ? Et n’est-ce pas déjà avéré en matière d’enseignements scientifiques, tout autant porteurs d’inégalités sociales que les enseignements littéraires ? Les élèves sont dotés d’atouts inégaux et on peut juger que c’est précisément à l’école d’apporter aux uns ce que les autres ont déjà, si cela doit leur être utile.
La question est là : si l’on admet qu’expliquer, argumenter, résumer, écouter les questions, répondre en posant sa voix sont autant de savoir-faire nécessaires dans la vie professionnelle ou pour tout engagement politique ou associatif, alors il est impératif d’y préparer tous les élèves. C’est exigeant, puisqu’il faut dépasser une pédagogie de la prise de notes, ce qui interroge autant le supérieur que le secondaire, et, pour les enseignants – ou du moins certains d’entre eux –, développer une nouvelle compétence professionnelle.
Cela n’empêche pas, par ailleurs, de se mobiliser pour rendre matériellement possible cette tâche et il faut évidemment réfléchir aux modalités précises pertinentes de l’examen (et les adapter aux circonstances particulières de cette année scolaire). Mais l’argument « plus (encore plus) d’inégalités sociales » est des plus discutables, même s’il faudra, comme devant toute innovation, en évaluer les effets.
Bac : inégaux face à l'oral... et alors ? - Alternatives Économiques
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