Chronique. Le 21 avril, la Fondation Jean-Jaurès a publié une note intitulée 2022 : évaluation du risque Le Pen. La date n’a pas été choisie par hasard : dix-neuf ans plus tôt, le 21 avril 2002, Jean-Marie Le Pen était parvenu à se qualifier pour le second tour de l’élection présidentielle en devançant le candidat socialiste, Lionel Jospin, alors premier ministre de cohabitation du président Jacques Chirac. L’événement avait été vécu comme un séisme, déclenchant, en retour, de puissantes manifestations et la constitution d’un front républicain derrière le président sortant, réélu avec 82,2 % des suffrages exprimés. Le message était clair : plus jamais ça !
Aujourd’hui, la marque Le Pen, ripolinée aux couleurs marinistes, prospère alors que les partis qui prétendaient la contenir bataillent pour leur survie. Dans leur livre Impressions et lignes claires (JC Lattès, 378 pages, 21,90 euros), Edouard Philippe et Gilles Boyer racontent le choc causé lors du premier tour de l’élection présidentielle de 2017 par l’élimination du candidat Fillon au terme d’une campagne lugubre, marquée par une mise en examen et de profondes divisions.
« Nous revoilà en 2002, la boucle est bouclée », écrivent les deux juppéistes, en actant l’échec de ce qu’avait tenté leur mentor, Alain Juppé, pour faire barrage au Front national : rassembler les familles RPR, libérale et centriste dans une formation unique, l’UMP, sur un positionnement européen. « Quinze ans après, éclatée, droitisée, rabougrie », la droite apparaît « disqualifiée », déplorent-ils.
Des raisons pas propres à la France
Le même constat aurait pu être dressé par la gauche, minée au même moment par d’insurmontables contradictions face à l’épreuve du pouvoir. Cette décomposition des deux camps allait favoriser l’ascension éclair d’Emmanuel Macron autour d’une tentative de rapprochement des modérés de droite et de gauche. Le caractère inédit de l’aventure, la tonalité dégagiste de la campagne menée par l’ancien ministre de l’économie de François Hollande, l’optimisme qui en émanait alors allaient servir d’antidote au lepénisme sans pour autant le contenir.
Quatre ans plus tard, Emmanuel Macron et Marine Le Pen se retrouvent au coude-à-coude dans les sondages d’intentions de vote pour la présidentielle de 2022, alors que le pays, fracturé, peine à sortir d’une lancinante crise sanitaire.
Il serait injuste de mettre sur le dos de la gauche et de la droite l’inexorable montée de Marine Le Pen. De profondes raisons, qui ne sont pas propres à la France, expliquent la prospérité d’un populisme qui se nourrit de l’insécurité économique et culturelle liée à la mondialisation. L’ébranlement des classes moyennes, l’« archipélisation » de la société française, la dévitalisation des villes moyennes, la peur du déclassement, le sentiment exprimé par une part non négligeable de la population de ne plus compter et de ne plus être représentée, la crainte d’une concurrence liée à l’immigration ont été mis en valeur par le travail minutieux des sociologues et des politistes. On peut cependant reprocher aux deux camps d’avoir sous-estimé l’ampleur du décrochage.
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« La marque Le Pen prospère alors que les partis qui prétendaient la contenir bataillent pour leur survie » - Le Monde
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