Parmi une centaine d’autres personnes, Célia attend son repas du jour, distribué par l’association des habitants de la favela de Paraisopolis. Pour cette mère de 11 enfants, la faim est redevenue une réalité. « Avec l’aide d’urgence qui s’est arrêtée en décembre, je n’ai plus rien pour nourrir ma famille », martèle la quadragénaire qui vit du recyclage de canettes.
Célia fait partie des 15 millions de Brésiliens qui, selon l’Institut Brésilien des Statistiques (IBGE), souffrent de la faim, aggravée par le chômage, la précarisation du travail et la pandémie. Elle soupire d’avance en évoquant les « aides d’urgence » aux plus fragiles, qui reprennent en avril, certes, mais ne lui permettront de tenir qu’une semaine, tout au plus. Ces aides, de 600 réais (environ 90 €) jusqu’en septembre, avaient été réduites de moitié avant leurs suppressions à la fin de 2020.
« À part Dieu, seul Lula peut nous aider en 2022 »
À partir d’avril, l’aide sera de 375 réais par famille (55 €) ou 150 réais (22 €) pour les personnes seules. Célia repense à la bolsa familia (« bourse familiale »), ce programme social créé sous les gouvernements Lula, entre 2002 et 2010, et destiné aux familles les plus modestes. À 74 ans, le leader du Parti des Travailleurs (PT) a été blanchi le 8 mars dernier, par la Cour suprême, des accusations de corruption qui l’avaient jeté en prison en 2018. À un an et demi de la présidentielle de 2022, Luiz Inacio Lula da Silva se pose désormais en principal adversaire de Jair Bolsonaro. Pour Célia, « à part Dieu, seul Lula peut nous aider en 2022 ».
Déjà, le chantre de la gauche brésilienne a son angle d’attaque face au président actuel : la faim. « J’étais heureux, déclarait-il le 10 mars dernier, quand un travailleur me disait : je vais manger de la bonne viande et boire une bière ». Un sujet d’autant plus sensible qu’au cours des 12 derniers mois, le prix de la viande a augmenté de plus de 25 %. Et même presque 50 % depuis le début du mandat de Jair Bolsonaro en janvier 2019. Pour le riz, c’est 20 % de plus, et jusqu’à 30 % pour le haricot, aliment de base des Brésiliens, selon les régions. « Nous n’avons même plus de quoi en proposer tous les jours », déplore Juliana, responsable du centre social de la favela devant lequel patiente Célia.
→ REPORTAGE. Covid-19 : « Arrêtez de geindre », lance Jair Bolsonaro aux Brésiliens
Le retour en politique du leader du PT a surpris l’actuel président d’extrême droite. Lui qui affiche d’ordinaire son « coronascepticisme » s’est résolu à porter son masque en public lors d’une messe, avant de s’adonner de nouveau à des bains de foules. Déjà en campagne, il condamne les décisions des gouverneurs et des maires qui décrètent des confinements pour tenter d’endiguer les contaminations. « Le chômage et la faillite des entreprises sont le résultat des lockdowns », affirme-t-il.
Une forte pression politique
Tentant de redresser la barre, il a nommé un quatrième ministre de la santé, le 17 mars dernier. Et le 24, jour où le pays dépassait officiellement les 300 000 morts du Covid-19, il affirmait « que le Brésil est le 5e pays qui a le plus vacciné sa population, soit 14 millions de personnes », alors que le pays occupe en réalité la 60e place.
Les derniers rebondissements attestent de la forte pression politique actuelle : Jair Bolsonaro, dont le socle électoral s’effrite (54 % de la population juge mauvaise sa gestion de la pandémie) a remplacé, cette semaine, six de ses ministres, y compris ceux de la justice, des affaires étrangères et de la défense Fernando Azevedo e Silva. Suite au départ de ce dernier, les chefs des armées de l’air, de terre et de la marine ont tous trois démissionné, mardi 30 mars.
→ LES FAITS. Brésil : sous pression, Jair Bolsonaro remanie son gouvernement
« C’est comme si Bolsonaro était responsable de tout en ce moment ! », peste Maria Teresa, une infirmière à la retraite qui vit à São Paulo. Ses deux fils ont été testés positifs au coronavirus, sa sœur est intubée mais ne peut être admise dans un service de soins intensifs, faute de place. En cette Semaine sainte, elle est persuadée que « ce virus nous montre que nous ne sommes pas immortels ». En 2022, elle votera à nouveau pour Jair Bolsonaro.
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Un tiers des Brésiliens en insécurité alimentaire
Le coronavirus a fait en un an plus de 317 000 morts au Brésil, mais la crise sanitaire a aussi fait monter en flèche le chômage, avec son lot de nouveaux pauvres.
Selon une étude de la Fondation Getulio Vargas datant de novembre, près d’un tiers de la population brésilienne souffre d’insécurité alimentaire.
En 2020, le directeur du Programme alimentaire mondial de l’ONU au Brésil a averti que le pays avançait « à grands pas » vers un retour dans la Carte de la faim, dont il était sorti en 2014. Les pays qui y figurent ont plus de 5 % de leur population dans un état de pauvreté extrême.
Au Brésil, Bolsonaro et Lula affûtent leurs armes alors que la pauvreté explose - Journal La Croix
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