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Tuesday, July 4, 2023

Tour de France 2023 : pourquoi Neilson Powless s'épuise en échappées alors qu'il pourrait faire bien mieux - Libération

Neilson Powless l’a célébré comme une victoire. Ce lundi 3 juillet, en haut du dernier sommet répertorié de la journée, la côte d’Orioko Benta, à environ 90 km de l’arrivée à Bayonne, le coureur américain de 26 ans a serré le poing, joyeux, le secouant deux fois. Il ne venait pourtant que de passer en tête d’un humble troisième catégorie, à la route étroite et aux charmants lacets. Pour lui, le plan avait parfaitement fonctionné. Il était assuré de garder son maillot à pois, celui du meilleur grimpeur.

L’étape était dédiée aux sprinters, grâce à son arrivée plate et par volonté du peloton, qui avait en assez du week-end précédent à se donner des peignées. La grosse cuisse Jasper Philipsen, d’Alpecin-Deceunick, en a profité. Le genre de journées de plus en plus rares sur le Tour. Les coursiers ont pu admirer les paysages basques, à siffloter entre les forêts de hêtres et de fougères et les villes balnéaires, le long d’un océan Atlantique caressant de ses vagues les nombreux touristes à l’eau.

Dans une ambiance à s’arrêter sur une plage pour faire trempette et manger une glace, Neilson Powless a dès les premiers kilomètres pris la poudre d’escampette, comme un ado s’échappant du bus de la colo pour aller butiner derrière une botte de paille avec son amoureux. Pour ça, il faut être deux et l’heureux élu du jour, l’amant content, a été Laurent Pichon.

Membre du gratin

Sans manquer de respect au coureur d’Arkéa Samsic, les deux cyclistes n’appartiennent pas à la même catégorie. Le Français, honnête équipier de 36 ans, avec au palmarès deux victoires dans des courses de la Coupe de France, dispute seulement son deuxième Tour. Il a le profil type et historique des modestes prenant les échappées dites «publicitaires». Celles dont on sait dès le départ qu’elles n’iront pas au bout mais qui permettent de montrer le maillot du sponsor pendant quelques heures à la télévision.

En théorie, Neilson Powless, lui, ne devrait pas être là, à partir à l’abordage sans aucune chance d’emporter l’étape, comme la veille. Cette année, il a gagné l’Etoile de Bessèges, a terminé sixième de Paris-Nice, septième de Milan San-Remo, cinquième du Tour des Flandres. L’année passée, il a même approché le top 10 du général de la Grande Boucle (12e). Le garçon appartient au gratin, capable d’être très bien placé dans des classiques et des courses d’une semaine. Il aurait tout intérêt à rester au chaud, à ne pas dépenser trop d’énergie, en attendant les étapes de prestige dédiées aux grimpeurs.

Alors, pourquoi se lance-t-il dans de telles aventures ? Pour les 300 euros alloués au premier passant les sommets ? Probablement pas quand son salaire annuel tourne autour des 900 000 euros. Pour les 2 points donnés au maillot à pois par col de «3e catégorie» franchi en tête, pour ramener la liquette à Paris ? Non plus. Dès que cela monte vraiment, le nombre de points gagnables est sans commune mesure et, s’il n’a pas les jambes, il le perdra vite. Par simple passion ? Peut-être… Après tout, le cœur a ses raisons… et les mollets obtempèrent. «Je suis déjà amoureux du maillot à pois», a déclaré Neilson Powless dimanche soir. «J’en suis tombé immédiatement amoureux, en fait», a-t-il répété. Si c’est son nouveau doudou, on peut comprendre l’envie de ne pas le rendre. Mais le garçon à la gueule d’ange est aussi un malin.

Bonne bouille

L’année dernière, son équipe EF-Education EasyPost avait déjà fait la pirouette à Copenhague, envoyant le danois hipster moustachu Magnus Cort Nielsen en expédition sur les routes scandinaves, acclamé par tout son peuple. Les images étaient belles, autant que ses sandales Crocs roses. 2023, rebelote : outre le temps passé à l’écran en direct, c’est aussi l’assurance de se réserver une place de choix pour les premiers épisodes de la saison 2 de Tour de France : au cœur du peloton.

La série Netflix est un succès, notamment auprès d’un public de curieux peu au fait du vélo pro. Le patron d’EF, Jonathan Vaughters, ancien équipier de Lance Armstrong, y tient un des rôles principaux. Le punchliner habile, repenti de l’EPO, a parfaitement compris qu’il fallait dramatiser l’événement. Dans la première saison, il explique que si sa formation ne gagne pas, elle fermera boutique. Ce serait dommage, car elle a été créée avec pour but de «promouvoir l’antidopage et de le rendre cool». Pour l’antidopage on ne sait pas, mais leur maillot, rose fluo, c’est sûr, il est cool (à prononcer avec l’accent américain). Dans ce contexte-là, la victoire n’a qu’une importance relative, tant pis pour les envies individuelles de palmarès. «Le Tour de France est tellement grand que, dès que tu fais un peu quelque chose, ça devient marquant. Tu n’as même pas à gagner une étape, juste à mener un classement, en sachant très bien que tu ne gagneras pas ce maillot à la fin», nous expliquait Magnus Cort Nielsen.

On imagine déjà Jonathan Vaughters, devant les caméras de Netflix, à nouveau mettre Bayonne dans une boîte de chocolats Pariès pour sublimer la performance de Neilson Powless. Elle sera montée en contraste de la douleur de Richard Carapaz, le leader malheureux de l’équipe, rotule fracturée. Et puis Powless a le profil parfait pour être aimé : bonne bouille, réputation d’être sympa, il a été le premier Amérindien à disputer le Tour de France, étant un quart oneida, une nation iroquoise. En plus, il a la bonne réponse à la question dangereuse pour un Américain : il préfère le good Lemond au bad Armstrong. Si le gendre idéal était membre du MPCC, le mouvement pour un cyclisme crédible, des pros très engagés contre la triche, cela aurait été encore mieux. Personne n’est parfait.

A Bayonne, Neilson Powless a franchi la ligne d’arrivée deux minutes après le peloton, dans les derniers. Avec le sourire. En zone mixte, on lui a demandé si «ça valait le coup, de partir en échappée comme ça» ?» Il a hésité un instant : «Hmmm, je voulais le premier point et après ce n’était pas trop difficile, alors j’ai continué. Quand j’ai été repris, j’ai trouvé que c’était plus dur dans le peloton, donc j’étais content d’être devant.» Quelques instants après, il a enlacé sa femme, intensément, devant les photographes. Elle est danseuse de ballet. Elle lui a appris à danser, et à nous faire danser.

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