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Tuesday, October 4, 2022

“Quand la culture ne soutient plus le peuple, alors il se soumet” - ActuaLitté

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Simone Weil dans Venise assassinée écrit qu’il faut tuer la cité au point de lui retirer en même temps que sa vie, la seule chose qui compte : l’espoir. Ainsi seulement ses citoyens sentiraient qu’une insurrection, même si elle réussissait, ne pourrait la ressusciter. Ce point de rupture atteint, quand la cité n’existe plus, que la culture ne soutient plus le peuple, alors il se soumet.

Durant les premiers jours de la guerre, au travers des images et des commentateurs, j’ai vu des soldats russes changer les panneaux, substituer l’ukrainien par leur langue, apposer sur un poème de Taras Chevtchenko — figure majeure dans ce conflit des langues slaves — une affiche qui disait que désormais ce sol était le leur.

La domination passe par ces gestes d’effacement culturel. L’Histoire nous l’a déjà montré, la langue ukrainienne a été plusieurs fois malmenée : interdite par Pierre Le Grand, Catherine II n’a fait que poursuivre et entériner ce que le Tsar avait commencé. Là-dessus vient le poète déjà mentionné, Taras Chevtchenko, qui permet à la langue ukrainienne de renaître et de s’affirmer.

Mais aux XIXe et XXe siècles, de nouvelles alternances ont lieu, cette langue est encore interdite, pour enfin être autorisée jusqu’à son épanouissement dans les années 1920 où il y a une forme d’ukrainisation. Les années 1930 sont un véritable génocide linguistique et artistique. Mais malgré tout, la langue ukrainienne s’est tapie dans les intimités familiales. Je me souviens de ma grand-mère qui me racontait qu’elle le parlait avec ses proches.

Quand j’ai créé le personnage de l’archiviste, très rapidement, sans que j’y aie pensé (là est la magie de l’écriture), les références culturelles ramenaient toujours K vers des souvenirs vécus avec sa famille. Qui n’a pas en tête des comptines apprises avec ses parents ? Des souvenirs d’histoires racontées le soir avant de s’endormir ? L’apprentissage autour d’une palette de couleurs ou d’une sculpture en argile ?

Moi-même, lors de l’écriture, j’ai ressenti le besoin de me replonger dans des photographies de mes parents, dans des objets posés chez moi comme chez la mère du personnage sur une commode. Après avoir terminé l’écriture, je me rappelle encore avoir retourné l’une de ces figurines qui me viennent de mes parents. Au-dessous de l’une d’elles est inscrite la lettre K, leur initiale, comme le nom de mon personnage.

Autour de nous ou quelque part dans notre esprit, sans que nous y fassions attention, nous avons tous des objets, des tableaux, des poèmes, qui fondent notre culture, ce terreau sur lequel nous avons grandi. Ces petits riens qui, mis en évidence, forment aussi la colonne vertébrale d’un pays.

Crédits photo : Alexandra Koszelyk

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