Si un tiers des 11 000 stations-service connaissent actuellement des pannes sèches en raison de la grève de quelques centaines de salariés de deux « majors »
, Esso et TotalEnergies, c’est aussi parce que les gouvernements successifs ont laissé les groupes pétroliers fermer des raffineries les unes après les autres dans l’Hexagone, plutôt que de les moderniser.
L’érosion du raffinage français avait commencé bien avant, mais sur la seule période 2009 – 2021, douze ans seulement, leur nombre a chuté de 14 à 6. La capacité de raffinage est ainsi passée de 104 à 58 millions de tonnes, la part de la France dans le raffinage européen dégringolant, elle aussi, de 12 % à 7,5 %.
Trois raffineurs et c’est tout
Dès lors, le sort des utilisateurs des 45 millions de véhicules immatriculés en France est entre les mains des salariés de trois raffineurs seulement. Le plus important est TotalEnergies, dont les raffineries de Gonfreville (Le Havre), Donges (Saint-Nazaire) et Feyzin (Lyon) assurent la moitié de la production française. Toutes ont participé au mouvement de grève, comme la « bioraffinerie »
de la Mède, et le dépôt des Flandres, deux anciennes raffineries classiques.
Vient ensuite Esso, dont les raffineries de Fos-sur-Mer (Marseille) et Gravenchon (entre Le Havre et Rouen) assurent un tiers de la production française. Elles aussi étaient en grève, jusqu’à la levée du mouvement, jeudi 13 octobre, pour celle de Fos. Seule à avoir continué de fonctionner normalement, celle de Lavéra, près de Marseille, propriété du groupe britannique indépendant Petroineos.
Il faut pourtant continuer à faire le plein des véhicules. Soit, en moyenne annuelle, 38,3 millions de tonnes pour les voitures, 5,9 millions de tonnes pour les utilitaires légers et 0,7 million de tonnes pour les camions.
Dans cet ensemble, le gazole est dominant, avec 80 % des carburants consommés en France, pays fana du moteur diesel, même si la part de l’essence (8,5 millions de tonnes, contre 37,4 pour le gazole) a tendance à augmenter depuis peu, pression environnementale oblige.
Du fait du vieillissement de son parc de raffineries, historiquement conçues pour privilégier l’essence (même si toute raffinerie extrait l’intégralité des sous-produits du pétrole), la France est normalement autosuffisante et même exportatrice de « sans-plomb»
, puisqu’elle en produit un peu plus de 9 millions de tonnes.
Elle a, en revanche, toujours massivement importé son gazole, près d’une vingtaine de millions de tonnes en 2019, soit plus de la moitié de sa consommation.
Un réseau de ports pour importer des carburants
La plus grosse partie de ces importations de carburants arrive par navires dans les ports de Marseille (17 millions de tonnes), Le Havre (11,5), Rouen (8), Saint-Nazaire (3,9) et La Rochelle (3), complétés par les ports plus petits dont, dans l’Ouest, Lorient et Brest.
Dans ces ports, les « product tankers », ces petits pétroliers dédiés aux carburants, se font bien plus fréquents depuis le début du mouvement de grève. Les importations ont augmenté et compensent presque intégralement les carences des raffineries,
assure-t-on à l’Ufip-Energies mobilités, l’organisation professionnelle des hydrocarbures en France. Le marché du pétrole a une grande flexibilité. Les importateurs français trouvent sans trop de difficultés à s’approvisionner, principalement à Rotterdam et Anvers, où la capacité de raffinage est considérable, ainsi qu’auprès de tous nos fournisseurs habituels : l’Amérique du Nord, le Moyen-Orient, l’Inde et encore la Russie, car même si les volumes sont en baisse, l’embargo ne commence à entrer en vigueur qu’en février pour le gazole
.
Des dépôts qui perdent leur alimentation par pipeline
La hausse des prix constatée cette semaine (11 centimes sur le gazole et 7 centimes sur le sans-plomb) doit moins, selon l’Ufip-EM, à la tension supplémentaire que crée la demande française, qu’à la toute récente décision de l’Opep + de réduire de deux millions de barils sa production quotidienne (sur une consommation mondiale de 100 millions de barils par jour).
Si les volumes de carburants sont là, pourquoi les stations tombent-elles régulièrement en panne sèche ? « Cela ne vient pas de la capacité du transport routier de carburants à prendre en charge des volumes importés plus importants », assure Jean-Christophe Limousin, délégué général de la Fédération nationale des transports routiers (FNTR), qui rappelle que les transporteurs sont habitués à faire face à des pics d’activité. À la veille des grands week-ends ou durant les vacances d’été, la France ne tombe pas en panne sèche. Notre problème, c’est d’une part que les automobilistes multiplient les pleins par précaution.» Jean-Christophe Limousin évoque «une surconsommation de 30 %» constatée un peu partout.
Il y a, surtout, l’impact des blocages sur les dépôts pétroliers. «Les plus gros sont alimentés en carburant par des pipelines souterrains partant des raffineries, tel que celui qui part de Donges, passe par Le Mans et va jusqu’à Metz. Mais leur niveau baisse, tandis que les camions se heurtent un peu partout à des dépôts bloqués par les grévistes
.
L’entrée dans la grève de Donges, mercredi 12 octobre, et celle, possible, de la dernière raffinerie fonctionnant encore à Lavéra (Marseille), étaient envisagées, du moins juste avant l’annonce, jeudi 13 octobre après-midi, de TotalEnergies d’ouvrir des négociations salariales dans la soirée, sans plus exiger la levée des blocages en préalable.
Pénurie de carburant : pourquoi les stations restent vides alors que les importations augmentent - Ouest-France éditions locales
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