Lundi soir, il est presque 23 heures 15. Dans l’hémicycle, les mines des députés sont tirées après de longues heures de débat sur le projet de loi de finance rectificative pour le pouvoir d’achat. Alors que les amendements à examiner se comptent encore par centaines, on disserte sur les pompiers et leurs conditions de travail. Tout à coup, le ministre de l’Economie Bruno Le Maire voit rouge. «J’ai le sentiment que depuis au moins quelques minutes, peut être quelques heures nous ne travaillons plus au service de nos compatriotes, grince-t-il. Nous faisons de la pure politique politicienne». Aussi, le locataire de Bercy, agacé par «des débats interminables» dit regretter «un vrai dévoiement du débat démocratique». Les députés de la majorité, du même avis, applaudissent. Quelques heures plus tard, vers 2 heures, la présidente de séance Caroline Fiat siffle la fin de la longue journée. Il reste près de 230 amendements à discuter alors que les macronistes espéraient adopter le texte en première lecture cette nuit-là.
Depuis plusieurs jours, le sujet revient régulièrement à l’initiative du parti présidentiel et de ses alliés. Selon les députés LREM, Modem et Horizons, leurs confrères et consœurs de la Nupes - et notamment les insoumis - font volontairement traîner les débats à grands coups de «wagon d’amendements sans lien avec le texte discuté dans l’Assemblée» dixit l’élue Renaissance de l’Isère Caroline Abadie. «Nous nous sommes engagés à nous battre pour le pouvoir d’achat des Français, ils n’ont aucun intérêt à ce que nous y arrivons», poursuit celle qui a été rapporteure de la loi urgence sanitaire, sur laquelle la majorité a été pour la première fois mise en minorité. Une preuve pour le député Modem Erwan Balanant d’une volonté des insoumis «d’entrer dans le conflit permanent».
C’est que ce lundi soir, les députés de la Nupes, ont profité du débat du PLFR censé financer les mesures adoptées dans la loi «pouvoir d’achat» pour déposer des amendements sur des sujets variés comme la gestion de l’eau, ou les pompiers. «On fait juste notre travail, assure la députée insoumise de Seine-Saint-Denis Clémentine Autain. Si nous travaillons sérieusement et que nous déposons autant d’amendements dans le PLFR, c’est parce que nous estimons que la question budgétaire est majeure». Pas de quoi convaincre les députés renaissance et Bruno Le Maire qui jugent les amendements et les prises de parole pour les défendre «hors sujet». «Quand on a de vrais combats, on les sélectionne et on les porte au bon moment pour qu’ils aient une chance d’aboutir», tacle Erwan Balanant particulièrement effaré par les pratiques de ses nouveaux camarades de gauche. «Eux passent leur temps à s’affronter avec le RN pour tenter de montrer qui est le meilleur opposant quand nous, nous nous battons pour améliorer le pouvoir d’achat des Français», critique Caroline Abadie. Dans les rangs de la majorité, on rappelle également que le 18 juillet dernier, les insoumis ont déposé un amendement au projet de loi sanitaire visant à renommer la prime Macron en «prime enfumage». Des «enfantillages» cinglait alors le président macroniste de la commission des lois Sacha Houlié sur BFM.
«C’est de la diversion, évacue l’écologiste Sandrine Rousseau. C’est très facile de dire qu’un sujet n’en est pas un quand on n’a pas envie de l’aborder». «Ils disent cela parce qu’ils n’ont pas envie de répondre sur le fond, embraye l’insoumise Clémence Guetté exactement sur la même ligne que l’ancienne finaliste de la primaire des Verts. Et puis quelle hypocrisie de parler de ‘hors sujet’alors qu’ils ont fait voter la construction d’un terminal méthanier dans un texte sur le pouvoir d’achat».
Surtout, la nouvelle députée du Val-de-Marne s’applique à rejeter toute accusation d’obstruction parlementaire, ce principe qui consiste à déposer des centaines et des centaines d’amendements pour bloquer l’examen d’un texte au Parlement. «Ce n’est absolument pas ce que nous faisons ici. Nous sommes juste en train de faire notre travail de députés en tenant d’améliorer des textes que nous trouvons insuffisants» affirme-t-elle. Durant la précédente législature, le groupe LFI avait assumé son utilisation de l’obstruction une fois, lors de l’examen de la très décriée réforme des retraites en février 2020. Les 17 députés insoumis avaient alors déposé 19 000 amendements. «C’était justifié, ça a permis au mouvement social dans la rue d’occuper l’espace», affirme Guetté.
Salle des Quatre Colonnes, le député LR de la Manche, Philippe Gosselin, vieux routier de l’Assemblée Nationale livre son analyse de la situation. Elu pour la première fois en 2007, l’ancien soutien d’Alain Juppé à la primaire de la droite et du centre de 2016 entame sa quatrième législature. «Cette fois, nous sommes face à une majorité relative ce qui laisse plus de champs aux oppositions», note-t-il. Rien d’anormal donc à ce que les groupes d’oppositions multiplient les dépôts d’amendements. Mais l’élu LR fait logiquement une distinction entre ceux déposés par son groupe, «les amendements responsables et raisonnables» et ceux des insoumis «qui ne consistent qu’à marteler leur programme et montrer qu’ils sont bien anticapitalistes et antibourgeois». Ajoutez à cela, «les volontés des uns et des autres à se jauger» et «vous avez tous les ingrédients pour que le bocal s’enflamme très vite» poursuit Gosselin. Avec un risque selon lui : que cette atmosphère bouillonnante à l’Assemblée nationale perdure dans les cinq années à venir.
A l’Assemblée, alors que les débats s’éternisent, la majorité accuse les insoumis d’obstruction - Libération
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