Sept mois après s'être emparé du pouvoir, le général Abdel Fattah al-Burhane a finalement décidé, le 29 mai, de lever l'état d'urgence. Cette mesure lui a été soufflée quelques heures auparavant par son conseil de sécurité et de défense. Le chef de l'armée a expliqué agir dans l'objectif de faciliter « un dialogue fructueux et significatif permettant d'atteindre la stabilité pendant la période de transition ». Mais les pourparlers chapeautés par l'ONU, l'Union africaine et l'Autorité intergouvernementale pour le développement se sont pour l'heure heurtés aux trois « non » brandis par les opposants au coup d'État : « pas de légitimité, pas de négociation et pas de partenariat ».
Ces mêmes militants prodémocratie restent sceptiques face à une annonce intervenue au lendemain d'une nouvelle journée de répression. Le samedi 28 mai, deux manifestants ont été tués par les forces de l'ordre en marge d'un cortège pacifique dans le sud de Khartoum, faisant grimper le bilan tenu par le Comité central des médecins soudanais à 98 victimes depuis le putsch du 25 octobre. Plusieurs dizaines de détenus politiques ont beau avoir été libérés ce dimanche, de nouvelles arrestations ont dans le même temps été perpétrées.
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Une décision purement politique
De quoi faire sérieusement douter la magistrate Eman Hassan de la bonne volonté des généraux. Cette membre de l'Association des avocats d'urgence dénonce « un jeu politique pour les raisons suivantes : cette déclaration aurait dû émaner du conseil des ministres et non du conseil de sécurité. Les services de renseignements vont en outre conserver l'immunité qui leur a été accordée par Burhane fin décembre. Tandis que les arrestations et perquisitions à domicile sans mandat demeurent autorisées. »
« C'est juste une tactique politique en fin de compte », confirme le docteur en droit Ahmed el-Gaili. Ce dernier décèle, cependant, la pression conjointe de la rue et de la communauté internationale derrière ce prétendu allègement du dispositif sécuritaire. Mais il insiste : « L'état d'urgence a été imposé par un décret anticonstitutionnel de Burhane. Son annulation ne doit donc pas être considérée comme une décision remarquable. Le véritable test réside dans sa mise en œuvre et plus particulièrement dans la limitation de la liberté octroyée aux forces de sécurité de recourir à une violence excessive et létale contre les manifestants prodémocratie. »
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Un énième cortège pacifique attaqué
Or, dès le lendemain de la suspension de l'état d'urgence, une manifestation organisée à Omdurman, ville jumelle de la capitale, a de nouveau été attaquée par les forces de l'ordre. Le journaliste Saleh Abdallah Bilal Srour, qui couvrait le défilé, a reçu une balle en caoutchouc dans l'œil. Preuve, s'il en fallait une, que « la levée de l'état d'urgence ne signifie rien. D'autant que nous n'avons jamais reconnu la déclaration de l'état d'urgence instauré par les putschistes, souligne Samahir el-Mubarak, l'une des porte-parole de l'Association des professionnels soudanais, fer de lance de révolution de décembre 2018. Les militaires vont continuer à user d'une violence extrême envers les révolutionnaires. C'est le cas depuis le 25 octobre, mais aussi depuis bien avant. »
Même position du côté des comités de résistance. « Burhane pense inciter les partis politiques et les autres forces civiles à venir s'asseoir et discuter avec lui. Mais ce n'est qu'une pièce de théâtre pour nous, raille Alaa Adnan, membre d'une de ces antennes locales prodémocratie en tête de l'opposition. Nous renouvelons notre vœu, avec nos martyrs et notre peuple, de continuer à travailler jusqu'à ce que nous vainquions ce coup d'État militaire et que nous bâtissions un pays civil. Nous nous assurerons que les militaires restent à l'écart de la vie politique », poursuit la jeune femme.
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Troisième anniversaire du massacre du sit-in
La chercheuse Nazik Awad n'est guère plus optimiste. « Je crains que la violence s'intensifie dans les prochains jours. Les militaires ont toujours recours à la violence pour imposer des négociations. Cela a fonctionné pour eux après le 3 juin 2019 », rappelle cette consultante spécialiste des droits humains, de la corruption et de la militarisation. À cette date, l'armée avait démantelé dans le sang le sit-in qui réclamait la remise du pouvoir aux civils, deux mois après l'éviction du dictateur Omar el-Béchir. Au mois d'août suivant, les généraux signaient un pacte avec une coalition de politiques et de citoyens, établissant un gouvernement bilatéral. Les premiers ont rompu cet accord il y a sept mois. Ce coup de force ne laisse d'autre choix aux nouvelles familles de « martyrs », que de joindre leurs larmes à celles des parents des victimes du massacre commis trois ans plus tôt.
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