La guerre en Ukraine fait monter avec raison les inquiétudes sur la sécurité alimentaire mondiale. Il convient cependant de bien distinguer les différentes composantes de cette sécurité afin d’analyser les conséquences immédiates et différées de pénuries potentiellement dramatiques pour les pays les moins avancés. Quatre facteurs construisent cette notion : la disponibilité des denrées, donc leur production ; les différentes composantes de l’accessibilité aux produits alimentaires (financière, géographique, culturelle) ; la capacité à utiliser de façon optimale les denrées ; et la stabilité dans le temps des trois critères précédents.
La disponibilité globale des produits alimentaires de base n’est pas aujourd’hui le sujet majeur de préoccupation. Différents circuits et sources d’approvisionnement alternatifs sont en cours de mobilisation ou d’exploration, et des stocks importants existent, tant dans les pays exportateurs que parmi les gros consommateurs, même si cela n’est pas vrai partout, comme au Liban, ou dans certains autres pays du Moyen-Orient ou d’Afrique en particulier.
L’accessibilité financière
La question clé qui émerge est donc celle de l’accessibilité financière. Quelques chiffres objectivent l’équation internationale, laissant présager les possibilités de résilience des populations face à la hausse des prix, en même temps qu’ils donnent la mesure des inégalités et des enjeux. En France, une famille consacre en moyenne 15 % de ses revenus au budget nourriture. En Roumanie, 26 % ; dans les pays d’Afrique subsaharienne, plus de 50 %. En Suisse, 7 %.
L’Afrique et l’Inde constituaient avant la guerre en Ukraine deux des principaux réservoirs mondiaux des 768 millions de personnes sous-alimentées dans le monde. L’Inde, gros producteur mondial de produits alimentaires, a ainsi rapidement annoncé l’interruption de ses exportations pour préserver sa capacité à nourrir sa propre population.
+ 20 % de hausse des prix
Après trois mois de conflit, on estime à près de 20 % la hausse des prix de certaines denrées de base. Cette hausse se construit par les effets cumulés des concurrences entre pays pour renforcer leurs stocks, des spéculations sur l’avenir, et par la hausse des prix du fret maritime. La Chine à elle seule détiendrait aujourd’hui plus de 50 % des réserves mondiales de blé, de maïs et de riz. La thésaurisation des céréales par la Chine est l’un des moteurs de la hausse des prix.
Dans tous les pays, la pénurie alimentaire va s’exprimer avec une intensité variable au sein des populations nationales, organisant un deuxième dégradé selon les niveaux socio-économiques de la population. Ainsi a-t-on constaté en France, pendant le confinement lié au Covid-19, un basculement dans l’insécurité alimentaire de populations qui n’étaient pas celles usuellement prises en charge jusqu’alors par les acteurs associatifs de l’aide alimentaire. Il s’agit là de la conséquence d’un déficit d’accessibilité financière et géographique liée à la baisse des revenus, comme à l’impossibilité de se déplacer.
2 milliards de victimes
On estime que le Covid-19 aura ainsi fait basculer 320 millions de personnes dans l’insécurité alimentaire, portant le chiffre mondial à plus de deux milliards de personnes avant la guerre en Ukraine. Les mêmes causes entraînant les mêmes effets, les populations vivant dans des pays en crise ont été victimes de ces mécanismes, alors qu’elles sont confrontées à une capacité moindre encore de résistance, du fait de facteurs d’agression multiples : conflit, dégradations environnementales. Tel est le cas de l’Afghanistan, sorti des écrans radars médiatiques, alors même que la conférence des donateurs de mars 2022 lançait une nouvelle alerte par rapport au risque majeur de famine, n’obtenant pourtant que la moitié des financements estimés nécessaires pour la prévenir.
Ainsi, la hiérarchie des risques liés aux inégalités entre pays et populations aboutit, au bas du bas de l’échelle de l’exposition à l’insécurité alimentaire, à placer les 220 millions de personnes dont la survie dépend directement d’une aide humanitaire d’urgence dans une exposition au risque maximale.
Responsabilité collective des ONG
Car la hausse du prix des céréales survient sur un modèle de financement de l’aide humanitaire chroniquement déficitaire. En 2020, et pour la première fois depuis dix ans, l’appel annuel coordonné des Nations unies n’avait obtenu que la moitié des 40 milliards de dollars estimés nécessaires pour faire face à l’ensemble des crises dans le monde. Comme les années précédentes, les ONG internationales ont pu réunir, par leurs donateurs, 25 % des sommes finalement utilisées sur le terrain.
Dans la logique du sauve-qui-peut mondial qui s’instaure face à la hausse des prix des céréales, face au jeu complexe des États impliqués dans la guerre en Ukraine, face aux stratégies cyniques ou prédatrices de certains acteurs économiques, les organisations humanitaires joueront donc un rôle d’évaluation et d’alerte sur le sort des plus pauvres parmi les plus pauvres. Alors que pleuvent les milliards d’aide militaire à l’Ukraine, émerge une responsabilité collective des ONG de dénoncer un mode de financement désormais obsolète et, certainement demain, encore plus profondément déficitaire.
« La hausse du prix des céréales survient alors que le financement de l’aide humanitaire est déficitaire » - La Croix
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