La Russie dit vouloir désormais concentrer ses efforts sur l’Est de l’Ukraine. Évolution de la manœuvre ou constat de faiblesse ? Décryptage par le général Jean-Paul Perruche, ancien directeur de l’état-major militaire de l’Union européenne.
"Les principaux objectifs […] ont été remplis. Les capacités de combat des forces ukrainiennes ont été réduites de manière importante, ce qui permet de concentrer de gros efforts sur l’objectif principal, la libération du Donbass", dit l’état-major russe. Un tournant ou un aveu d’impuissance ?
Je pense plutôt à un aveu d’impuissance. Nous avons appris qu’il fallait comprendre à l’envers les déclarations de M. Poutine et de ses collaborateurs. Quand il dit que tout va bien, il faut comprendre que ça ne va pas si bien que ça. Et quand il dit que tout va mal, ça veut dire qu’il va attaquer plus loin. En faisant cette déclaration les Russes ne promettent d’ailleurs rien. Cela ne signifie pas qu’en dehors du Donbass, la guerre va s’arrêter. Mais par rapport à l’opinion publique et à l’armée russe, il était visiblement urgent d’afficher que les objectifs avaient été atteints et que le Donbass restait le premier but de cette opération, ce qui est certainement faux. Je pense que le but était bien de prendre le contrôle de l’Ukraine mais l’objectif n’a pas été atteint et qu’il n’est pas atteignable à court terme.
Faut-il lire la réduction "des capacités de combat" ukrainiennes revendiquée par les Russes avec le même regard ?
Effectivement, si les Russes déclarent que les capacités ukrainiennes ont été considérablement réduites, ça veut dire qu’il en reste beaucoup. Ce message s’adresse donc d’abord à l’opinion publique et aux militaires russes qui encaissent de lourdes pertes pour leur dire qu’ils ont "fait le boulot" . C’est de la "com’" pour rassurer face à un adversaire qui conserve visiblement une capacité importante pour se battre et d’autant plus que l’armée ukrainienne est renforcée régulièrement par les moyens que lui donnent les Occidentaux.
Insister sur le Donbass, est-ce pour autant renoncer à prendre Kiev, Kharkiv, mais aussi le contrôle du littoral de la mer Noire et bien sûr d’Odessa ?
Ce n’est un renoncement à rien de la part de Poutine. Ses objectifs initiaux restent le contrôle de tout ce croissant qui part du nord de Kharkiv, qui descend par le Donbass et qui va le long de la mer d'Azov, de la mer Noire jusqu’à la Transnistrie pro russe. Je pense que cela reste prioritaire de même que l’encerclement de Kiev. Mais en l’état actuel des choses, les Russes n’ont juste pas les moyens d’aller beaucoup plus loin qu’ils sont allés, Marioupol étant une exception…
Va-t-elle devenir le "Stalingrad" des Ukrainiens ?
Marioupol est stratégiquement essentielle pour relier le Donbass à la Crimée. Poutine préférera supprimer la ville que de la voir survivre et elle est devenue, de fait, le principal symbole à la fois de la capacité de résistance des Ukrainiens, défendant un enjeu existentiel, et de l’incapacité des Russes à prendre une ville importante puisqu’ils sont en échec partout. À présent, si l’on regarde le cadre "espace-temps" de cette guerre, cette déclaration sur le Donbass peut aujourd’hui être interprétée de deux façons. Soit c’est le signe qu’on approche d’une négociation effective et, personnellement, je suis un petit peu sceptique là-dessus… Soit les Russes détournent l’attention pour faire une pause et se réorganiser avant de reprendre l’offensive. Mais ce qu’on voit à l’évidence, c’est que cette armée-là n’a pas les moyens des ambitions que lui fixe Poutine. Dans les mois à venir, j’imagine qu’il va donc essayer de sanctuariser les environ 12 % du territoire ukrainien qu’il a conquis dans l’Est et essayer renforcer son armée pour voir s’il peut aller plus loin ou bien si, sur la base de ce qu’il a eu, il peut commencer à négocier.
Guerre en Ukraine : alors que l'armée russe s'enlise, que va faire Vladimir Poutine ? - LaDepeche.fr
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