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Wednesday, September 29, 2021

Une femme Première ministre en Tunisie… Et alors ? - Marianne

Pour la première fois, une femme accède à la fonction de chef(fe) du gouvernement à Tunis. On applaudirait volontiers, séduits par le symbole d’une revanche du deuxième sexe dans un pays arabe. C’est évidemment ce qui a guidé le choix de Kaïs Saïed. Le président compte ainsi donner des gages de sa supposée modernité et couper l’herbe sous le pied à ceux qui l’accusent de détourner la démocratie depuis les mesures d’exception promulguées le 22 septembre.

Dans une Tunisie qui se distingue depuis plus de soixante ans par les réformes féministes d’un Habib Bourguiba, le statut des femmes est un marqueur considérable. Il ne viendrait à l’idée de personne de préjuger des qualités de Najla Bouden, 63 ans, une scientifique, ex-directrice générale au ministère de l’Enseignement supérieur. Cependant, plusieurs raisons conduisent à modérer notre enthousiasme.

À LIRE AUSSI : Pourquoi la Tunisie a perdu dix ans

D’abord la nouvelle « Première ministre » se contentera de contresigner les décrets-lois du président. Le régime d’exception sous lequel vit le pays consacre Kaïs Saïed dans une fonction extrêmement familière au monde arabe. Nous rappelions dans ces colonnes que son admiration allait aux défuntes gloires du nationalisme arabe, du Caire à Damas en passant par Tripoli.

Du reste, ce sont des partis enkystés dans cette nostalgie, comme le Mouvement du peuple (« Echaab »), qui clament leur soutien au « raïs » omniscient et omniprésent, soucieux de ne communiquer qu’avec « le peuple », concept séduisant mais brumeux qui peut mener à tout et à faire tout avaler. Dans l’état de détérioration sociale où se trouve le pays, à l’issue d’une décennie islamiste où les Frères musulmans, associés à un camp laïque incapable de voir plus loin que le bout de ses egos, ont pris les dynamiques en otage, Kaïs Saïed joue sur du velours.

Occulter le réel

Le velours féminin lui offre un habit de circonstance. Le choix d’une femme constitue un atout national – les violences contre les femmes se sont multipliées dans l’arène de l’ex-Parlement dominé par les islamistes – mais aussi international et diplomatique. Mais le « coup » médiatique a aussi un « coût » : il occulte le réel.

« Najla Bouden, choisie pour son "genre", aura-t-elle la conviction de se battre pour l’égalité auprès d’un homme qui affirme ne pas vouloir "toucher au Coran" ? »

Le premier problème tunisien est en effet économique. Sinon, pourquoi tant de jeunes Tunisiens risqueraient-ils leur vie pour fuir la terre natale ? Pourquoi les immolations se sont-elles multipliées, onze ans après le suicide par le feu de Mohamed Bouazizi, à Sidi Bouzid, un certain 17 décembre 2010, évènement qui a lancé la saison des faux printemps arabes ? Il est de notoriété publique que Kaïs Saïed s’ennuie quand on lui parle d’économie. Il s’entoure de juristes, d’avocats, décortique la loi, tient les commentateurs en haleine avec sa « vision politique ».

Quelle vision économique ?

Seulement, les Tunisiens ont besoin d’une vision économique. Skander Ounaïes, un expert de ces questions, rappelait dans ces colonnes cet été que son pays avait « perdu dix ans », faute d’analyses pertinentes. Quelque temps après le coup de force du 25 juillet, alors qu’on pensait toute proche la nomination d’un nouveau chef de gouvernement, le nom du directeur de la Banque centrale, Marouane Abassi, circulait chez ceux qui souhaitaient un profil adapté à la situation tunisienne.

Najla Bouden, dont la carrière discrète s’est effectuée dans le sérail universitaire, présente d’autres qualités aux yeux du président. Cette discrétion, au moins, ne pourra pas excéder les pouvoirs dévolus à la titulaire d’un poste devenu une sorte de super-secrétariat de la présidence, si le régime d’exception se maintient. Mais si Kaïs Saïed veut aller jusqu’au bout de la symbolique, il lui faudra peut-être revenir sur son allergie à la réforme de l’héritage, loi coranique qui n’attribue à la femme que la moitié de la part de l’homme. Najla Bouden, choisie pour son « genre », aura-t-elle la conviction de se battre pour l’égalité auprès d’un homme qui affirme ne pas vouloir « toucher au Coran » ?

À LIRE AUSSI : Tunisie : le président Kaïs Saïed, pire que Ben Ali ?

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