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Wednesday, May 26, 2021

Alors, quelle révolution voulons nous ? - Libération

«Nous, travailleurs de Grandpuits, nous avons les mêmes intérêts que les Ougandais dont Total détruit les parcs naturels et bâtit un pipeline de 1 500 km», déclare un travailleur de Grandpuits, une raffinerie dans laquelle Total a démarré un plan social menaçant 700 emplois sous un prétexte écologique fallacieux. Cette expression de solidarité internationale illustre bien le lien entre les combats pour l’emploi, la justice sociale et la préservation du vivant. Debout sur une estrade, à l’arrivée de la marche pour «une vraie loi climat» à Paris le 28 mars dernier, le même travailleur ajoute : «L’écologie ce n’est pas une affaire de bobos, c’est l’affaire de tous. C’est pourquoi il faut construire des ponts et faire le lien entre nous, tout le temps.» En trois phrases, vêtu de sa chasuble orange fluo à bandes réfléchissantes, il a dégommé quelques clichés à la peau dure.

«Pas d’emplois sur une planète morte.» Un message simple, dont le rapport éponyme de la coalition «Plus jamais ça» expose des propositions consensuelles, comme des idées encore en débat. Après un an d’existence, cette coalition, regroupant des dizaines d’ONG, de mouvements citoyens et des syndicats, marque une alliance inédite. Loin de se contenter de brandir l’étendard d’une convergence proclamée, elle se construit dans l’action concrète. De la mobilisation devant le siège social de Total pour dénoncer la casse sociale que le groupe orchestre tout en faisant du greenwashing, à l’occupation du quai de Bercy devant le ministère des finances pour exiger le sauvetage par le gouvernement de l’usine de recyclage de papier de la chapelle d’Arblay, aux marches climat, le slogan «Fin du monde, fin du mois : même combat» se matérialise sur le terrain.

Adversaire et message communs

Le gouvernement s’emploie pourtant à les opposer en deux camps, notamment en décrédibilisant les écologistes ( «amish», «briseurs de rêves»…) pour cantonner la population dans l’ignorance de ce que la transition écologique lui apporterait si elle était mise en œuvre à la bonne échelle. Ainsi, la participation d’employés ou de syndicats du secteur des énergies fossiles à une marche climat, ou le soutien d’écologistes à des travailleurs d’une raffinerie aurait été impensable il y a encore peu de temps. Cette convergence est devenue une évidence grâce à un minutieux travail de rapprochement, réalisé par des personnes visionnaires, créant peu à peu des liens, là où il n’y avait que fractures ou impensés.

«Une révolution ne prend de l’ampleur qu’à partir du moment où deux groupes au moins qui n’ont rien en commun décident de se rassembler pour leur profit mutuel», dit Serj Popovic, leader serbe du mouvement Otpor ! qui a conduit à la chute du dictateur Slobodan Milosevic. En désignant un adversaire commun – le gouvernement Macron pour sa politique climatique et sociale désastreuse – et en se focalisant sur un message commun plutôt que de se perdre dans des désaccords, la coalition «Plus jamais ça» constitue une nouvelle entité représentant bien plus que la somme de ses parties. Elle déjoue le piège de la division, tendu par les défenseurs du statu quo, et envoie un signal fort et pédagogique dans le débat public.

Nécessaire requalification

Le dérèglement climatique s’accélère, et les déclics de conscience de la compréhension de ses impacts se multiplient. Les années d’inaction des gouvernements nous ont poussés au pied du mur. Pourtant, c’est maintenant que notre avenir se joue. Pas demain. Et si on perd, on ne pourra pas refaire une partie comme au bingo. L’atteinte de certains seuils de concentration de gaz à effet de serre dans l’atmosphère rendra le dérèglement du climat irréversible. Or, selon l’Organisation internationale du travail, 60 millions d’emplois pourraient être créés dans le monde par la transition écologique dont 18 par la seule mise en œuvre de la transition énergétique.

De plus en plus de salariés des secteurs qui doivent se transformer, comme les membres du collectif Icare dans l’aéronautique, vivent mal le fait d’être coincés dans un emploi qui contribue au réchauffement climatique. Pour d’autres, après quelques années, voire parfois des dizaines dans une même entreprise, la perspective de devoir changer de travail, de qualification ou de le perdre n’est pas facilement envisageable. Mais les indemnités kilométriques vélo pour engager les salariés de Total à se rendre à vélo à l’usine ne suffisent plus à détourner notre attention de l’inévitable : la nécessaire requalification et la reconversion de milliers d’emplois dont des familles entières dépendent, tout en garantissant une transition juste et des conditions de travail dignes.

S’attaquer à la racine du système

«On pense aujourd’hui à la révolution, non comme à une solution aux problèmes posés par l’actualité, mais comme à un miracle dispensant de résoudre les problèmes», écrivait la philosophe Simone Weil. Alors quelle révolution voulons-nous ? Attendons-nous un miracle ou plongeons-nous dans le vif du sujet ? En se posant ensemble devant l’équation à multiples variables de la reconversion des emplois pour les rendre compatibles avec une société soutenable, syndicats et mouvements écologistes mettent les mains dans le cambouis pour dessiner ensemble le monde dans lequel ils et elles veulent vivre.

S’unir pour désigner les responsables de cette situation, construire des rapports de force pour les contraindre à agir, est une voie salvatrice pour ne pas se sentir isolé, ne pas déprimer dans un travail qui n’a plus de sens, ou s’enfermer dans le déni. Nouer des alliances est à la fois un outil de lutte et une manière de la construire. Le résultat n’est pas le même si aux tables des négociations se trouvent les premiers concernés, ou une majorité de politiques défenseurs des intérêts des lobbies, enfermés dans leur bulle, loin de la réalité du terrain. Là, on s’attaque à la racine du système, à la transformation des conditions de vie matérielle des gens et à la gouvernance de la machine productiviste. Accepter nos différences, accepter que l’issue du chemin que l’on emprunte ensemble soit pavée d’incertitudes, mais décider de marcher dans la même direction, avec des objectifs de victoires d’étapes, se faire confiance, constitue sans doute une des armes les plus précieuses des stratégies de luttes non-violentes.

Et aussi

En attendant le prochain festival d’Agir pour le vivant, qui se tiendra à Paris du 3 au 6 juin autour du thème de la ville, et le rendez-vous à Arles fin août sur le thème des territoires, la rédaction de Libération, en partenariat avec les éditions Actes sud et Comuna, propose à ses lecteurs tribunes, interviews et éclairages, ainsi qu’une sélection d’articles sur le thème de la biodiversité. A retrouver ici.

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